Que veut la Chine ? De Mao au capitalisme
Que veut la Chine ? De Mao au capitalisme
C’est une description précise, assez souvent favorable mais aussi fréquemment critique, que donne de la Chine, à la veille du congrès du parti communiste, François Godement, spécialiste réputé des affaires chinoises. Il évoque le « miracle chinois » : une croissance en accélération constante depuis trois décennies mais il fait état aussi de l’extraordinaire inégalité de richesses qui, à son avis, compromet la cohérence sociale.
La croissance est sans cesse renouvelée grâce au travail, « ressource inépuisable ». L’époque maoïste avait déjà mobilisé le pays, pratiquant le transfert des ressources de la population paysanne vers les entreprises d’État. Les successeurs de Deng Xiao Ping en recueillent les fruits dans une « frénésie d’investissements ». Mais la fracture sociale est devenue un gouffre. Le transfert de propriété des terres agricoles achetées à bas prix et converties en terrains à bâtir par l’action des cadres locaux suscite de nombreux mécontentements. Qui pourrait s’étonner dans ces conditions de l’essor de la corruption ? Godement, partisan de la libéralisation et d’une démocratie à l’occidentale, est sévère sur l’absence des réformes « attendues et toujours reportées ». La Chine est devenue selon lui un pays fragmenté. La direction désormais plus collective s’efforcerait en vain d’instaurer une « impossible transition politique ». La société est conflictuelle ; les incidents sont nombreux quoique non violents. L’auteur reconnaît en effet que la population chinoise, à l’image de ses dirigeants, a une volonté de stabilité.
L’auteur analyse longuement l’essor surprenant de l’immense ville-région de Tchong Qing et le sort de son dirigeant, le « flamboyant » Bo Xi Lai aujourd’hui déchu. Il évoque les interrogations, les complots, les failles du régime. La population est certes plus libre mais le parti applique plus que jamais la loi du silence. La gouvernance du pays, où des centaines de millions de Chinois échangent constamment des messages sur Internet, reste toujours aussi obscure. La Chine, rappelle Godement, a une « stratégie duale ». Parviendra-t-elle à maîtriser ses contradictions ? La croissance exceptionnelle sera-t-elle soutenable ? François Godement ne croit guère à une « voie chinoise ». Il estime que la poursuite assurée de la croissance exige des réformes importantes, y compris au plan politique et au niveau des pouvoirs locaux. La réforme peut-elle être reprise par le haut ? Encore faudrait-il savoir le sens que l’on donne à cette affirmation. Selon lui, après dix ans de pouvoir, le tandem Hu Jin Tao et Wen Jia Bao laisse derrière lui « une impression de malaise ». Comment réformer le parti en conservant le contrôle du pays ? La formule de Ding Xiao Ping : « Tâter les pierres pour traverser la rivière » ne convainc pas Godement.
Le livre présente une analyse documentée et très actuelle de la politique extérieure de la Chine. Pour l’auteur, un tournant s’est produit en 2009. Depuis cette date, la puissance militaire de la Chine croit fortement et les manifestations de la volonté chinoise visent à consolider les positions de l’Empire Xing sur mer comme sur le continent et par suite des incidents territoriaux et maritimes se multiplient. La Chine aurait-elle laissé de côté les consignes de prudence de Deng Xiao Ping, la fameuse observance d’un « plafond bas » dans l’expression et la défense des ambitions nationales ? En dépit des déclarations apaisantes du conseiller d’État Dai Bing Guo et des mises au point du ministère chinois des Affaires étrangères qui sonnent comme des appels au calme, les tensions toujours récurrentes avec le Japon s’accroissent et les sentiments nationalistes s’expriment ouvertement en Chine. La notion d’« intérêts fondamentaux » s’impose, obligeant le président Obama d’abord favorable à une ouverture en direction de Pékin à changer d’orientation, ouvrant ainsi la voie à un débat stratégique qui oppose la Chine (et la tentation qu’on lui prête de vouloir établir une zone d’influence élargie) aux États-Unis (et au reproche d’œuvrer à l’encerclement de la Chine). Un affrontement qui va de la mer de Chine du Sud, aux îlots revendiqués par le Japon et aux agissements de la Corée du Nord, soutenue par Pékin alors que Washington a des forces importantes stationnées en Corée du Sud.
Il y a donc désenchantement des États-Unis qui constatent que la Chine ne se soucie pas de participer à la gouvernance du monde. Mais il n’y a pas en Chine conclut, rassurant, François Godement, de « primat de la culture belliciste ».