Les industries de défense en Europe
Jean-Louis Scaringella, docteur en droit, diplômé de l’université de Harvard et de l’IHEDN, enseigne au Collège interarmées de défense à Paris. L’ouvrage qu’il nous propose analyse en détail les caractéristiques des industries d’armement des principaux pays de l’Union européenne. Le message de l’auteur est clair : l’Europe doit répondre impérativement à la stratégie offensive des États-Unis. Depuis 1996, les Américains ont en effet multiplié les rapprochements dans les domaines sensibles de l’armement et de l’espace : Northrop-Grumman a acquis la branche défense de Westinghouse, LockheedMartin a racheté les activités d’électronique militaire de Loral, Raytheon a repris le secteur aéronautique de Chrysler, Boeing s’est approprié le secteur militaire de Rockwell, etc. Ces grandes manœuvres entre conglomérats américains ont introduit une nouvelle donne sur les marchés. Boeing, premier constructeur d’avions civils de la planète est ainsi devenu le numéro trois mondial de l’espace et de la défense derrière les américains Lockheed-Martin et McDonnel Douglas, mais devant British Aerospace. Face à cette rationalisation, les industries européennes d’armement sont dispersées dans trois fois plus de centres de production que leurs homologues d’outre-Atlantique qui réalisent pourtant un chiffre d’affaires deux fois supérieur.
Devant de tels bouleversements, la constitution d’une Europe de l’armement est une question de survie. La solution n’est toutefois pas aussi simple en raison de la crise qui frappe actuellement les industries de défense. Les difficultés de ce secteur sont alimentées par le rétrécissement des marchés intérieurs et surtout la réduction des crédits d’équipements militaires. En France, la situation est particulièrement critique : selon le rapport du Conseil des industries de défense (Cidef), près de 110 000 emplois ont disparu entre 1993 et 1996. Les plans de licenciements ont notamment concerné Thomson-CSF (3 700 départs), Giat Industries (2 300), la direction des constructions navales (2 300), Aerospatiale (2 250)… Paris a pourtant essayé de diversifier ses clients en s’ouvrant aux pays d’Asie et d’Amérique latine. Les exportations françaises étaient en effet concentrées au Proche-Orient, à la suite de la politique extérieure du général de Gaulle à l’égard des États arabes.
Pour sortir de cette tourmente, les pays européens ont manifesté une volonté politique de regroupements. C’est la raison pour laquelle la France et l’Allemagne ont voulu étoffer « l’institutionnalisation de l’Europe de l’armement » en inscrivant le projet de création d’une Agence européenne de l’armement dans la déclaration des neuf États membres de l’UEO, annexée au traité d’Amsterdam. Son renforcement devrait ainsi permettre la multiplication des coopérations, non seulement entre militaires, mais aussi entre industriels de la communauté.
Le constat final laisse apparaître que les industries d’armements ont toujours un poids considérable dans les économies des pays européens : elles emploient directement 700 000 salariés (et en font travailler indirectement 700 000 autres), soit 6 % de la main-d’œuvre industrielle. Dans la nouvelle politique de coopération européenne, les entreprises doivent favoriser toutes les formes d’alliances industrielles pour mettre en commun le potentiel R & D (recherche et développement), réduire les coûts grâce aux économies d’échelle et affronter les Américains dans les marchés européens et étrangers. Si la collaboration à des programmes ponctuels reste toujours d’actualité au lancement de certains projets, il faut aujourd’hui, pour faire face à la dimension du problème, privilégier la création de grands pôles industriels européens. Cette initiative implique la mise au point d’un appareil législatif concernant la gestion des flux d’armements. Sur cette question, laissons la conclusion à M. Helmer, délégué général pour l’armement, qui déclarait en mars 1997 : « Les restructurations industrielles doivent déboucher sur des entreprises transnationales capables d’optimiser ces programmes… non plus des consortiums, mais de vrais groupes transnationaux forts à activités duales ». Beaucoup d’observateurs s’étonnent cependant de la lenteur avec laquelle se réalisent de tels projets. La raison en est simple : ces programmes se heurtent souvent aux sentiments nationaux, aux notions de souveraineté et aux réticences qui en résultent. ♦