Le naufrage du K 219
Le K 219 est un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE), du type soviétique 667A Navaga (Yankee en code Otan), victime d’une explosion dans un tube lance-missiles, en plongée, au large des Bermudes, le 3 octobre 1986. La presse de l’époque a d’autant plus rendu compte de l'événement qu’il a été annoncé par les Soviétiques eux-mêmes. La photo du sous-marin, barres de plongée sur le kiosque tournées à la verticale, un grand trou à la hauteur du 3e missile, prise par un avion américain de patrouille maritime Orion P 3 a fait le tour du monde. L’équipage avait réussi à faire surface, mais n’avait pu maîtriser l’incendie et la voie d’eau consécutifs à l’explosion du propergol liquide d’un missile SS N 6 par contact avec l’eau de mer. Il n’y eut que quatre victimes, dont un matelot qui stoppa les deux réacteurs en descendant à la main les barres de contrôle pour éviter leur explosion. Les Russes disent que Sergueï Preminine est l’homme qui a sauvé l’Amérique en évitant un Tchernobyl marin.
Trois anciens marins russes nous avaient raconté l’histoire en dix pages, dans un livre horriblement mal traduit en 1992 : La dramatique histoire des sous-marins nucléaires soviétiques ; des exploits, des échecs et des catastrophes cachés pendant trente ans. Aujourd’hui, avec encore bien des imperfections de traduction des termes de marine et de nucléaire, c’est un Américain, ancien attaché naval à Moscou, un Russe, ancien second à bord du K 129 avant l’accident et ultérieurement commandant de SNLE, qui nous décrivent la dernière patrouille inachevée de ce boomer. Essentiellement relaté depuis le bord du SNLE soviétique et du SNA américain qui le pistait, le récit est remarquablement conduit, avec un suspense bien ménagé, même si l’on connaît la fin. C’est très près d’un roman de Clancy ou de Di Mercurio.
Si, à l’époque, les Américains, sans le cacher, n’avaient guère insisté sur la présence de leur hunter-killer (chasseur-tueur) dans le sillage du SNLE, ils avaient quelque peu dissimulé une furieuse envie de se saisir de l’accidenté, en insistant sur ses quinze ans d’âge. L’ATF 166 Powathan, remorqueur d’une traction de 53 tonnes, avait été dépêché sur place, avec mission d’intervenir si possible. Un des trois cargos russes présents avait remorqué sur 80 milles le sous-marin.
Le livre indique que le sous-marin américain serait passé sur la remorque pour la couper et ainsi empêcher le navire naufragé de s’éloigner. Il y aurait eu également une tentative d’abordage, par le SNA, du canot qui transportait des naufragés et les documents secrets. Le SNLE a coulé le 6 par grands fonds. Bien sûr, les Soviétiques n’avaient pas accepté d’aide, et les Américains avaient déjà l’expérience de la remontée partielle d’un sous-marin du type Golf, le K 129, coulé dans le Pacifique le 8 mars 1968. Le navire, financé par Howard Hughes, qui avait servi à la récupération en 1974, le Glomar Explorer, était disponible. L’exploration de l’épave par le navire hydrographe russe Keldesh, en 1988, aurait révélé que tous les tubes lance-missiles étaient vides.
Le SNA américain aurait pris en filature le SNLE du type Delta, venu récupérer les documents secrets embarqués à bord du cargo. Il l’aurait percuté, détruisant son dôme sonar, alors qu’il était lui-même chassé par un SNA soviétique du type Victor. Les collisions sous-marines ne sont pas rares, et l’on se souvient au moins de celles du SSN 615 Gato, en 1969, au large de Mourmansk avec un SSN soviétique, et du SSN 689 Bâton Rouge, en 1992, dans le même secteur, avec un classe Sierra russe.
Le K 129 a rejoint dans l’abîme quatre SNA : deux américains perdus corps et biens (Thresher en 1963, Scorpion en 1968) ; deux soviétiques avec des rescapés (K 8 en 1970 et K 278 en 1989). ♦