France, réveille-toi
Une publication du général Bigeard constitue toujours un événement. Dans son dernier ouvrage, l’officier le plus décoré de l’armée française aborde les grands sujets d’actualité qui lui tiennent à cœur, sans préjugés ni conformisme, mais avec le franc-parler qui le caractérise. Dans ce document dédié à la jeunesse, « celle qui nous réveillera dans les années à venir, car elle aura vécu l’incertain, l’inquiétude du lendemain et la nostalgie d’une France de lumière », l’auteur lance un cri d’alarme contre la perte des valeurs. Le livre est présenté sous la forme d’une série de lettres : au feu président Mitterrand ; au président Chirac, le plus prestigieux des parachutistes français lance un appel au sursaut ; à Valéry Giscard d’Estaing, il envoie « un coup de cœur » pour remercier l’ancien président de la République de l’avoir nommé secrétaire d’État à la Défense et adresse un message sur la fidélité en politique ; à Mobutu, il lance « un coup de gueule » pour l’Afrique en dénonçant la terrible responsabilité de beaucoup de dirigeants dans la faillite de ce continent et rend un hommage appuyé au président sénégalais Senghor (« S’il y avait eu, en Afrique, plus de Senghor que de Mobutu, nous n’en serions pas là, avec ce continent qui part à la dérive ») ; dans une « lettre au dernier appelé du contingent », il analyse enfin la nouvelle loi d’orientation militaire et exprime son inquiétude face à la disparition du service national.
Les moments forts de l’ouvrage concernent cependant les lettres adressées à Ben M’Hidi et au général Giap. Au chef historique du FLN en Algérie, le général Bigeard rend un certain hommage. L’auteur se souvient notamment des dernières paroles de Ben M’Hidi juste après son arrestation par les parachutistes français : « Dans huit mois, dans quinze mois, vous serez partis d’Algérie. Vous ne resterez pas ici, je peux vous l’assurer. Vous ne pourrez pas. D’ici quarante ans ou cinquante ans, on agira de même en France. On vous chassera. L’islam doit s’étendre et nous, nous faisons quatre enfants quand vous en faites un ». Cette prophétie a marqué à vie l’ancien député de Toul qui revit cette Algérie, « ce merveilleux pays pour qui, en 1997, nous ne pouvons plus que prier ». Dans ce long passage émouvant, l’auteur nous rappelle l’action efficace qu’il a menée pendant cette tragique guerre d’Algérie : éradication du terrorisme urbain pendant la bataille d’Alger au cours de laquelle tous les réseaux de terroristes ont été démantelés, mise au point d’une doctrine d’utilisation de l’hélicoptère de combat, création d’une école de contre-guérilla qui a déclenché une nouvelle dynamique de succès élogieux dans la lutte contre les fellaghas, etc.
Dans son message au général Giap, le général Bigeard ne peut s’empêcher de manifester sa colère au regard du sort tragique qui a été réservé aux prisonniers de Diên Biên Phu : « Entre nous, vous le savez, il y avait, il y a toujours les huit mille morts sur les onze mille prisonniers, morts durant nos quatre mois de captivité. Des Français, des Africains, des Maghrébins, tous des combattants, des frères qui se battaient pour le drapeau tricolore et pour la France. Encore aujourd’hui, je pleure chacun d’entre eux, victimes d’un destin atroce et qui aurait pu être évité ». À cette occasion, l’auteur remercie un ancien légionnaire, Rolf Rodel, qui a élevé, à ses frais et sur le site même de Diên Biên Phu, un monument à la gloire des morts. Cette « œuvre pour l’éternité » rétablit un oubli scandaleux des autorités françaises qui ont ignoré le combat héroïque de soldats courageux qu’on avait envoyés dans une guerre perdue d’avance à dix mille kilomètres de la métropole. Dans ce chapitre bouleversant, le général Bigeard ne demande plus qu’une chose aux autorités de Hanoi : « Je souhaite qu’on largue mes cendres au-dessus de Diên Biên Phu, afin de rejoindre tous mes camarades de combat ».
Dans sa conclusion, l’ancien secrétaire d’État à la Défense s’adresse aux femmes « qui réveilleront la France, ces femmes qui ont un sixième sens ; un bon sens qui manque si souvent à nos politiques ». Dans ce domaine, la situation en France est loin d’être enviable. Les chiffres parlent en effet d’eux-mêmes : à la Libération, on comptait trente-trois femmes sur cinq cent quarante-cinq députés. Cinquante ans plus tard, elles ne sont plus que trente-deux sur cinq cent soixante-dix-sept. En un demi-siècle, la proportion des femmes à l’Assemblée nationale est passée de 6 % à 5,5 % ! D’où le cri du général Bigeard : « Allez-y, Mesdames. Faites acte de candidature sachant dans quelle faune vous allez pénétrer, mais avec votre sixième sens, vous pourrez faire beaucoup pour la France ». Là encore, ce sont bien l’instinct patriotique, l’amour de « Dame France », qui animent ses convictions. Cette fibre nationaliste transparaît dans tout le livre qui se veut finalement un ouvrage d’espoir. ♦