Une vie de Français. Mémoires
Français d’origine allemande, pédagogue d’une Europe pacifiée et réconciliée, Alfred Grosser appartient au cercle restreint de ces grands penseurs qui ont toujours privilégié la rigueur de la vérité à l’illusion de l’idéologie.
Né en Allemagne en 1925, il arrive en France, à Saint-Germain-en-Laye, en 1933, avec sa famille, son père, juif non croyant, ayant opté pour l’exil. La citoyenneté française a ainsi été un choix revendiqué sans pour autant vouloir oublier les racines allemandes des Grosser. Ce n’est donc pas un hasard si le jeune homme choisit, la guerre à peine achevée, et après l’agrégation d’allemand, une carrière d’enseignant, avec la ferme volonté de participer au rapprochement des anciens adversaires. Très vite, il partagea sa vie entre les deux rives du Rhin.
Depuis un demi-siècle, sans chercher à jouer un rôle politique par le biais d’un mandat électif, Alfred Grosser va inlassablement militer pour une meilleure compréhension des deux peuples si opposés par l’histoire. Que ce soit par ses écrits et ses analyses sur la nouvelle Allemagne, ses cours à « Sciences po », ou ses multiples interventions sur le terrain au sein de nombreux organismes franco-allemands, l’auteur a incontestablement participé à la constitution de l’axe Paris-Bonn. De par sa double culture, il a été médiateur et animateur de cette nécessaire entente. Si, aujourd’hui, la relation privilégiée entre les deux pays les plus puissants de l’Union européenne semble naturelle, il n’en était pas de même sous la IVe République, tant les plaies étaient vives. Les accords de 1963 —le traité de l’Élysée du 22 janvier — entre de Gaulle et Adenauer ont été l’aboutissement de ce travail en profondeur pour une meilleure compréhension mutuelle, dans lequel Alfred Grosser peut avec fierté assumer une part non négligeable. Soulignons ici que, pour lui, seule l’Allemagne fédérale représentait l’avenir, et que la RDA incarnait, par ses dirigeants, le prolongement de la Prusse avec tous ses excès, le communisme ne pouvant pas prétendre construire la démocratie.
Parmi les multiples facettes de l’auteur, il faut noter l’importance attachée à l’enseignement, ce qui lui a permis d’ailleurs de côtoyer le monde militaire. Au moment de la réforme indispensable et ambitieuse de la scolarité à Saint-Cyr (à partir de 1982), il participa au jury de l’école, expérience qu’il jugea très réussie et révélatrice de l’effort d’adaptation consenti par l’armée de terre pour la formation de ses officiers. De même, il eut souvent l’occasion de s’exprimer dans les amphithéâtres de l’École militaire au profit des stagiaires des différentes Écoles de guerre, chez qui il a toujours trouvé un souci de tolérance, d’ouverture et de réelle compréhension des enjeux du monde contemporain. À l’inverse, ses relations avec l’ENA ont été plutôt négatives, tant le respect du formalisme l’emportait sur l’originalité de la réflexion chez les candidats.
Alfred Grosser manifeste également son attachement envers la presse hebdomadaire et quotidienne, symbole d’une vraie liberté garante de notre citoyenneté. Encore aujourd’hui, ses chroniques pour Ouest-France et La Croix continuent ce travail de pédagogie et d’explication de la nécessité européenne. Ainsi, hostile aux idéologies, il a toujours privilégié la culture de la raison. Peu soucieux de suivre les modes, il ne s’est pas créé une réputation superficielle et il mérite d’être considéré comme un de nos grands intellectuels, artisan et défenseur de l’Europe de demain. ♦