Le 7 avril 1975, peu après sa nomination aux hautes fonctions de Grand Chancelier de la Légion d’Honneur, le général d’armée de Boissieu est venu répondre aux questions que les auditeurs de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) avaient préparées à son intention quelques semaines auparavant, alors qu’ils abordaient l’étude de la défense militaire de notre pays. C’est cet échange de questions et de réponses que nous reproduisons ici sous leur forme d’origine. L'auteur a tenu à souligner au début de son intervention qu’il ne parlait plus en tant que Chef d’état-major de l’Armée de terre — son successeur étant déjà entré en fonctions — mais comme un homme ayant été responsable, pendant quatre ans, des problèmes de cette Armée.
Entretien avec l'ancien Chef d'état-major de l'Armée de terre (Cemat)
Missions de l’Armée de Terre — Organisation — Problèmes d’emploi
La 1re Armée, dont la manœuvre constitue un des volets de notre concept de dissuasion, est bien adaptée à cette mission en cas de menace venant de l’Est, mais elle semble moins bien préparée à d’autres actions. Le système paraît rigide. N’y aurait-il pas lieu de développer les forces conventionnelles en vue d’un engagement éventuel sans emploi de l’arme nucléaire tactique ?
Non. Un développement de nos forces conventionnelles serait trop onéreux. Le nombre de nos grandes unités a été fixé à cinq dont deux sont en Allemagne, ce qui nous permet d’engager deux divisions sur une direction et d’en tenir une en réserve. Il n’y a pas lieu d’augmenter ce chiffre, ni bien entendu de le diminuer, car avec quatre grandes unités seulement on ne pourrait plus manœuvrer.
Par ailleurs, nous avons fait un choix en basant notre concept de défense sur la dissuasion. Il ne saurait être question de le remettre en cause.
Telle qu’elle est formulée, la question mentionnant un engagement « sans emploi de l’ANT » sous-entend qu’il s’agit là d’un conflit ne mettant pas en jeu les « intérêts vitaux » du pays, donc limité. Les hypothèses envisagées sans emploi de l’arme nucléaire devraient préciser deux points importants : s’agit-il d’un engagement aux côtés des alliés ou non ? Quelle est la localisation du conflit : l’Europe, la Méditerranée, le Moyen-Orient ?
Le volume actuel de nos grandes unités — 15 brigades dont 12 mécanisées et 3 motorisées — avec les compléments nécessaires répartis au niveau des corps d’armée et des divisions, nous permet de faire face aux deux hypothèses d’emploi en conventionnel :
— la première concerne l’engagement d’un corps d’armée (à deux ou trois divisions), appuyé par la totalité de l’artillerie sol-sol et sol-air de la 1re Armée ;
— la seconde est celle de l’engagement de deux corps d’armée renforcés par l’infanterie des brigades du territoire — il y en a trois actuellement, mais j’y reviendrai tout à l’heure, nous envisageons d’en créer quatre ou cinq de plus. L’ensemble manquerait évidemment d’appuis-feux d’artillerie sol-sol et sol-air puisque nous n’aurions que l’artillerie actuelle qui est calculée en fonction des programmes d’emploi avec l’armement nucléaire tactique. C’est pourquoi il faudrait envisager un appui aérien tactique supplémentaire, soit allié, soit national.
Il y a aussi des limites au volume des forces que nous pourrions employer suivant le mode de transport qu’elles utiliseraient pour rejoindre leur théâtre d’opérations. En cas d’acheminement par voie terrestre, il n’y aurait aucune difficulté pour engager les deux corps d’armée. Par contre, si l’engagement était consécutif à un transport maritime, nous devrions nous limiter à l’emploi d’un corps d’armée. Encore faudrait-il pour cela réquisitionner une partie de la flotte de commerce. Enfin, en cas de transport par voie aérienne, nous ne pourrions engager que la 11e division parachutiste.
Mais il faut toujours avoir présent à l’esprit qu’en constituant un corps de bataille autour de l’arme nucléaire tactique, le gouvernement a fait un choix et qu’il n’est plus possible de revenir en arrière.
Bien sûr, on peut et on doit moderniser les forces conventionnelles, surtout en leur donnant une mobilité stratégique plus grande. Il est certain que la chenille est un frein à cette mobilité ; les progrès réalisés par la roue et les pneumatiques increvables permettent aujourd’hui de fabriquer des engins de combat capables d’aller en vingt-quatre heures d’une frontière française à l’autre, ce que ne peuvent faire les engins chenilles qui doivent utiliser le porte-chars ou mieux la voie ferrée. Un matériel nouveau comme l’AMX 10 RC, qui est à roues et possède les capacités tous terrains d’un char, est un engin de combat d’avenir. C’est la raison pour laquelle il serait souhaitable que la fiche-programme concernant ce matériel, soumise au ministre il y a plus de huit mois, reçoive prochainement son approbation.
À ce propos, il me paraît utile de signaler que l’objectif de mécanisation des quinze brigades actuelles est loin d’être achevé et ne le sera pas avant 1980. Il est donc peut-être encore temps d’envisager l’une ou l’autre des deux solutions : soit celle de 15 brigades mécanisées plus 2 ou 3 brigades de reconnaissance à roues, soit celle de 12 brigades mécanisées plus 3 brigades motorisées sur engins de combat à roues. De toute façon, il faut sûrement saisir toute occasion d’augmenter la proportion de véhicules de combat à roues. C’est la raison pour laquelle à l’AMX 10 C à chenilles j’ai préféré l’AMX 10 RC, qui aura le même canon, les mêmes capacités et une mobilité stratégique bien supérieure. De même, j’ai réduit considérablement le programme AMX 10 P, transport personnel à chenilles qui, initialement prévu à 4.000 exemplaires, a été limité à 1.800, le reste, 2.200, étant constitué par des véhicules blindés de l’avant à roues : les VAB, dont le modèle produit par SAVIEM l’a emporté l’an dernier sur son concurrent Panhard à la suite d’une compétition très sévère.
La mobilisation, coûteuse et lourde, ne pourrait-elle pas être supprimée ?
Il faut distinguer trois cas dans la mobilisation suivant qu’elle concerne les forces de manœuvre, les forces du territoire ou les services.
• Pour les forces de manœuvre : la mobilisation n’est ni « lourde » ni « coûteuse », mais elle est nécessaire.
Il s’agit essentiellement de recompléter les unités d’active avec les derniers contingents libérés et de mettre sur pied quelques unités d’appui ainsi que certaines formations logistiques : 24 à 48 heures pour les rappelés, 3 à 5 jours pour les formations mobilisées.
Si nous en croyons les Allemands, qui sont en train, on le sait, d’adopter une stratégie de l’avant, la surprise n’est plus possible en raison des moyens modernes de détection. En conséquence, acceptons cette information et espérons que si une crise éclatait nous pourrions prendre les mesures d’alerte nécessaires à temps. La mobilisation, d’ailleurs, ne démarre plus au jour J. Elle est précédée d’un certain nombre de mesures graduelles qui permettent en particulier de procéder à des rappels de réservistes plusieurs jours avant la vraie mobilisation. Cette mobilisation n’est pas, non plus, coûteuse. La part qu’elle représente dans le budget de l’Armée de Terre est infime. Par contre, elle est nécessaire. Vouloir disposer de tous les moyens dès le temps de paix serait onéreux et conduirait soit à une réduction importante et inacceptable du nombre des brigades, soit à un allongement du service qui me paraît hors de question dans la conjoncture actuelle.
• Pour les forces du territoire, le problème est tout différent car nous sommes obligés de quadrupler les forces du temps de paix en les portant de 52.000 à 200.000 hommes. En ce qui concerne la gendarmerie, il s’agit de faire passer ses effectifs de 60.000 à 170.000 avec des apports provenant de l’Armée de Terre. L’ensemble de cette mobilisation représente donc un volume important, et cette fois indispensable. Lorsque j’ai pris les fonctions de Chef d’état-major de l’Armée de Terre on dénombrait une cinquantaine de points sensibles prioritaires touchant aux forces nucléaires stratégiques et au commandement de celles-ci. Leur nombre aujourd’hui a plus que doublé, sans compter les quelque 600 points sensibles d’intérêt national. À raison de deux compagnies par point sensible prioritaire, nous n’avons donc pas de trop des 77 régiments d’infanterie divisionnaire qui sont des régiments de réserve et des 14 régiments dédoublés des régiments d’infanterie des forces du territoire ou mis sur pied par les écoles. Quant à la gendarmerie, elle ne parviendrait pas à remplir ses missions si elle ne triplait pas ses effectifs. Pour mettre en sûreté la FNS et sauvegarder sa crédibilité, de même que pour assurer la couverture générale, la mobilisation est donc, cette fois, indispensable.
• En ce qui concerne les services (Santé, Essences, Intendance et Matériel), les besoins en temps de guerre seraient de l’ordre de 115.000 hommes.
S’ils étaient à effectifs pleins dès le temps de paix, ils seraient nettement sous-employés — c’est évident pour le service de santé, c’est vrai aussi pour les autres services. C’est pourquoi nous n’utilisons en permanence que 40.000 personnels ; le complément doit être recherché dans la mobilisation ; le rappel du dernier contingent libéré n’y suffirait pas, compte tenu de la qualification et du nombre de spécialistes dont nous avons besoin.
Se contenter de ces 40.000 personnels reviendrait à faire l’impasse quasi totale sur le traitement et l’évacuation sanitaire des blessés, la réparation des matériels, et admettre que le conflit ne durerait que quelques heures, ce qui n’est pas évident.
Nous sommes cependant en train d’étudier une très sérieuse diminution de l’appel à la mobilisation pour certains services, en utilisant la réquisition de grandes entreprises de travaux publics — ce qui nous éviterait la mobilisation de régiments de réserve par exemple du génie qui nous coûtent cher en matériels et en entretien — et la réquisition d’installations civiles de la santé publique qui nous dispenserait de mobiliser des hôpitaux de campagne dont l’entretien est, lui aussi, onéreux.
Enfin, la future organisation du commandement territorial et opérationnel devrait permettre à la 6e région de soutenir avec plus de facilité le 1er et le 2e corps d’armée au point de vue logistique à la mobilisation.
Les structures de commandement sont-elles bien adaptées ?
L’idée s’est fait jour depuis plusieurs années de réduire à trois le nombre actuel des quatre échelons de commandement : armée, corps d’armée, division, brigade. Nos études sur ce sujet ont abouti aux mêmes conclusions que celles des Britanniques et des Allemands. Une telle réduction permettrait d’accélérer les processus d’information et de décision, ce qui est important à l’âge du nucléaire. Par contre, elle se prêterait moins bien à l’articulation des moyens génie, transport et logistique, et conduirait à alourdir soit les grandes unités de base, soit les éléments organiques de corps d’armée. Mais surtout nos moyens de transmissions, jadis conçus au point de vue portée et déploiement en vue de l’articulation actuelle, ne le permettent pas. Il faut donc attendre l’avènement du système RITA (réseau intégré de transmissions de l’Armée de Terre), qui entrera en service après expérimentation vers 1980-1982, pour opérer cette réduction, dont la nécessité est admise cependant.
Par contre, il faut dès maintenant réaliser la fusion des commandements opérationnels et territoriaux, comme je vous le disais à l’instant, pour des raisons d’efficacité et d’économie.
Le contingent ne constitue-t-il pas une entrave à la mobilité de nos forces et ne serait-il pas une gêne pour une intervention extérieure ?
Mobilité paraît signifier ici disponibilité en vue de l’intervention à l’extérieur des territoires français.
La disponibilité est liée au niveau d’instruction des personnels et d’entraînement des unités. Il est certain qu’un régiment d’appelés — sauf à prévoir de substantielles majorations d’effectifs — ne peut avoir la même disponibilité qu’un régiment d’engagés.
De même il est clair que la liberté du gouvernement est plus grande pour mettre en œuvre rapidement hors du territoire français des forces constituées de personnels engagés. C’est la raison qui nous a fait conserver la Légion Étrangère et notamment son groupement opérationnel (G.O.L.E.), avec trois régiments d’engagés, plus l’équivalent d’une brigade parachutiste d’engagés, l’ensemble est destiné à fournir le premier élément d’une intervention extérieure, le deuxième élément devant être constitué par des formations comprenant des appelés. Mais si des délais sont accordés et si le Parlement donne au Gouvernement les moyens de sa politique face à la crise, les inconvénients liés au système de la conscription s’atténuent, voire disparaissent. Les unités engagées à Suez comprenaient des jeunes gens du contingent qui se sont très bien comportés. De même en Algérie où les appelés ont donné entière satisfaction — il faut ajouter, il est vrai, que le service était plus long.
Les forces du territoire sont souvent présentées comme les parents pauvres de l’Armée de Terre. Seront-elles valorisées ? Comment envisager leur emploi dans une mission de défense civile (maintien de l’ordre) en cas de crise grave avec menace extérieure ?
Il est vrai que les forces du territoire passent pour les parents pauvres, mais c’est une fable qu’il faut contredire. La réalité est plus nuancée. Les inspecteurs, ceux de l’infanterie et de LABC en particulier, m’ont souvent rendu compte que bien des régiments des forces du territoire valaient largement certaines unités des forces de manœuvre. Ces régiments ont par ailleurs l’avantage d’avoir beaucoup moins de servitudes de mécanisation ; les plus lourds d’entre eux, ceux de l’ABC, sont dotés de l’AML Panhard (automitrailleuse légère) bien plus facile à entretenir que l’EBR (engin blindé de reconnaissance). Ce sont de très beaux régiments, qui sont en général choisis à la sortie des écoles militaires par les premiers de promotion, avant les régiments des forces de manœuvre, ce qui est un test.
J’ai tenu à détruire cette fable « d’unités de second ordre » et à manifester l’intérêt que je leur portais. Considérant que le béret était peu pratique pour leur type de combat, je leur ai donné un insigne particulier et une casquette qui distinguent ces unités des autres et qu’elles sont fières de porter. Chaque fois qu’il s’est agi de désigner un colonel pour un tel commandement, je l’ai choisi parmi les meilleurs possible, car je considère que les commandants de ces régiments — dont dépendent en général une ou deux formations dérivées dans lesquelles les officiers de réserve, du capitaine au colonel, sont souvent des notables ou des fonctionnaires importants — doivent être des hommes d’action à la hauteur des responsabilités qui leur incombent, notamment en ce qui concerne l’instruction des réserves. Dans les forces de manœuvre, où l’on peut faire appel à l’encadrement de la brigade, de la division, les difficultés sont beaucoup moins grandes. Dans un régiment du territoire, tout repose sur la personnalité et la valeur du chef de corps.
Bien sûr, l’armement de ces régiments est souvent moins moderne que celui des forces de manœuvre dont il provient après y avoir été en service un certain temps. Mais ce ne sera plus le cas pour l’armement anti-char puisqu’il vient d’être décidé que tous les régiments du territoire qui sont aux frontières seraient dotés en priorité, du nouveau lance-roquettes antichar, le STRIM, et du MILAN, avant même certains régiments des forces de manœuvre.
Enfin, en ce qui concerne l’entraînement et les terrains de manœuvre, les forces du territoire ont pour la plupart une situation privilégiée. Autant les forces de manœuvre sont gênées par l’obligation de manœuvrer dans les camps, autant les forces du territoire peuvent disposer de l’espace et manœuvrer sur les réseaux routiers, ce qui facilite considérablement leurs tâches d’instruction.
Actuellement, nous tendons cependant à la polyvalence des forces. Les forces du territoire doivent pouvoir être engagées au sein de la 1re Armée grâce à la modernisation, déjà signalée, de l’armement anti-char, une motorisation plus complète, un entraînement approprié et grâce à la réorganisation de ces forces en brigades qui est actuellement envisagée. Il n’est même pas exclu que cette dénomination de forces du territoire ne soit purement et simplement supprimée.
Par ailleurs, nous constatons que les progrès faits dans la mobilisation avec la mise en place du plan P 3 A nous permettent de confier à des régiments de réserve, les RID ou les RIFT dérivés, des missions dévolues jusqu’ici à des RIFT d’active, rendant ainsi ces derniers disponibles pour le renfort de la 1re Armée.
Pour ce qui est de l’ordre public, en cas de menace extérieure, il faut admettre que toute politique de défense, pour être mise en œuvre, implique le consentement de la majorité du pays. Il est contre nature de vouloir faire face à des menaces extérieures graves tout en étant en proie à une crise intérieure également grave. Ceci ne signifie pas que nous n’ayons pas besoin de forces de maintien de l’ordre et de sécurité générale. Je vous ai dit tout à l’heure que la gendarmerie triplait ses effectifs. Les forces du territoire ont de leur côté les moyens de remplir leurs différentes missions qui sont essentiellement la sauvegarde des installations nucléaires et des points sensibles prioritaires. Quant au maintien de l’ordre, c’est la mission des forces de 1re et 2e catégories : police, C.R.S., gendarmerie, ce n’est donc pas la mission des forces du territoire mais bien sûr, celles-ci défendront les installations dont elles ont la charge contre quiconque, que ce soit des ennemis « infiltrés, parachutés ou débarqués » ou des complices qui s’y associeraient.
Que pensez-vous de l’Essai sur la non-bataille du chef de bataillon Brossolet, et notamment de sa théorie sur l’emploi de l’ANT ?
Cet essai manifeste un bel effort de réflexion : il est un témoignage de la vitalité de la pensée militaire française. Les thèses qu’il défend ne sont certes pas absolument originales : la plupart ont déjà été émises en France et à l’étranger, particulier en R.F.A. ; elles sont d’ailleurs à la base de la nouvelle stratégie de « défense de l’avant » du commandement allemand.
« Le combat d’usure dans la profondeur » est un procédé bien connu, particulièrement adapté à certaines situations et à certains terrains. Les modalités d’exécution proposées par le commandant Brossolet découlent, au départ, directement d’une étude de recherche opérationnelle menée par l’état-major de l’Armée de Terre sous l’égide du Comité de Prospective et d’Évaluation (CPE) du cabinet du ministre, il y a quelques années. Ces thèses ont fait l’objet d’une sérieuse analyse avant d’être finalement rejetées. Le fait nouveau est qu’elles soient rassemblées dans un essai cohérent.
À partir de là, la démarche du commandant Brossolet a le défaut d’ériger en système exclusif un procédé de combat intéressant, démarche qu’on retrouve dans toutes les spéculations philosophiques, sociologiques, morales ; lorsqu’un élément du tout est érigé en tout, cela s’appelle l’esprit de système : nous connaissons ce genre de raisonnement.
En ce qui concerne l’emploi de l’ANT, on pourrait dire en bref ceci (et le bref est toujours un peu long en pareille matière) :
— notre stratégie globale est une stratégie de « non-guerre », rendue possible — et c’est toute la révolution de l’atome — par l’abolition de l’espérance de gain chez l’adversaire potentiel,
— si nous avons acquis, à côté de la FNS, une capacité d’engagement de notre corps de bataille, c’est (en caricaturant) pour signifier ceci à l’adversaire : « Nous n’ignorons pas que vous pourriez avoir la tentation de douter de notre détermination, au niveau stratégique, en cas d’agression de votre part en Europe. Soyez au moins convaincu que l’action nucléaire de notre Armée serait certaine parce qu’on ne change pas de doctrine et de plans au matin d’une guerre ».
« Soyez assuré que les risques de montée aux extrêmes seraient alors immenses ».
« Notre doctrine tactique et l’outil que nous préparons pour l’appliquer, le corps de bataille, sont donc une sur-assurance de « non-guerre » par la menace de la bataille nucléaire ».
Pour caricaturer, comme le fait le commandant Brossolet tout au long de son Essai (il l’avoue d’ailleurs), je dirais ceci : « la non-bataille est un avenant, en diminution de couverture de risque, à l’assurance non-guerre ».
Pour reprendre une formule du général inspecteur général de l’Armée de Terre, « le dispositif proposé par l’Essai sur la non-bataille, c’est la Ligne Maginot sans l’artillerie et sans le béton ».
Enfin, contrairement à ce que laisse entendre le commandant Brossolet en posant la question (page 18) « en cas de conflit… la France rentrerait-elle dans l’Alliance ? », nous sommes toujours dans l’Alliance et les contacts entre les états-majors n’ont jamais cessé, puisque le général de Gaulle avait décidé de maintenir ou de créer des missions et des officiers de liaison auprès des grands commandements de l’OTAN, mais nous ne faisons plus partie de l’organisation intégrée.
Dans le dispositif de l’Alliance, pour la défense de l’Europe, nous nous trouvons en réserve (la seule réserve d’ailleurs de tout le théâtre). Profitons donc au maximum de la situation pour, d’une part poser un problème à nos adversaires éventuels, d’autre part obliger nos alliés à revenir à un concept de défense beaucoup plus efficace que celui de la « riposte à la mesure » (flexible response) ou « riposte graduée », qui est en partie responsable du départ de la France de l’OTAN, ce concept étant anti-dissuasif et nettement défavorable à la défense des intérêts des Européens.
À partir du moment où notre corps de bataille terrestre et aérien est doté d’armement nucléaire tactique, il faut que nul n’ignore que l’engagement de celui-ci au profit de l’Alliance entraînerait ipso facto l’emploi des feux nucléaires tactiques ; c’est la façon d’obliger nos alliés, en particulier les hommes politiques, à envisager l’emploi des feux nucléaires en Europe avant qu’il ne soit trop tard.
Pour en revenir à l’Essai sur la non-bataille, ce n’est pas avec un rideau défensif doté de modules transportés sur jeep et sur camionnette et attendant l’ennemi à la frontière que l’on parviendrait au résultat dissuasif que nous recherchons. Le corps de bataille terrestre et aérien de l’avenir doit être doté d’une grande puissance de feux nucléaires et classiques ; il doit être très mobile, avec une forte proportion de véhicules de combat à roues ; il doit être mécanisé et protégé, capable d’agir en zone contaminée ou infectée par des produits chimiques ou par des particules radioactives. Ce corps de bataille n’aura rien à voir avec celui de 1939, ni avec celui de 1944, ni avec celui de 1975. En fait, on n’a pas bien saisi l’ampleur des problèmes de la défense de demain quand on n’a pas compris cela.
Je vais vous relire la citation du maréchal Rotmistrov que j’ai lue à vos camarades l’an dernier et vous verrez que, sur ce point, nous avons la même vision des choses que les Soviétiques : « Le degré élevé de résistance des troupes blindées et mécanisées aux attaques nucléaires, ainsi que leur grande capacité de combat, leur mobilité, leur force d’attaque, permettent aux blindés de pénétrer rapidement dans les zones bombardées par les armes atomiques et de parachever l’œuvre commencée par les missiles nucléaires et l’artillerie classique ; à cause de ces avantages, les chars de combat ne sont pas périmés ; ils constituent le meilleur armement des forces terrestres. En attaquant de jour et de nuit, ils peuvent percer en profondeur les lignes ennemies et entraîner dans leur sillage le reste des forces. En cas de besoin, ils peuvent désormais opérer indépendamment en arrière des lignes ennemies sans être accompagnés de grandes unités d’infanterie, lesquelles sont susceptibles d’être aéroportées jusque dans la zone d’opération des chars ».
En conclusion, par la dissuasion stratégique, par la dissuasion tactique, par la dissuasion populaire, nous avons une stratégie de « non-guerre » qui peut être difficile à comprendre par certains dans la mesure où elle est, en quelque sorte, une logique de l’irrationnel.
Puisque nous sommes dans les évaluations des études théoriques, plusieurs d’entre vous m’ont demandé ce que je pensais du « Point de vue » du général Georges-Picot paru dans Le Monde du 25 mars : « La nécessaire révolution militaire ».
Tout d’abord, je vous dirai que les suggestions de cet officier général très ancien ne sont pas nouvelles. Il fait les mêmes inlassablement depuis 1934, depuis 40 ans. L’un de mes prédécesseurs en tant que Chef d’état-major de l’Armée de Terre avait fait étudier dans le détail le système proposé et avait conclu qu’il était « inapplicable ». À la suite d’un nouvel article, j’ai tout de même décidé d’envoyer au général Georges-Picot un officier général chargé des questions d’organisation et de mobilisation à l’état-major de l’Armée de Terre pour lui poser quelques questions sur des points importants comme le soutien logistique de cet ensemble qu’il proposait. Parmi ces points obscurs, il y avait celui de l’entretien des chars et engins blindés ; mon collaborateur reçut cette réponse, qui résume assez bien tout l’ensemble du système : « mais c’est très simple, il n’y aurait qu’à les faire réparer dans les garages civils… ». Je n’ai pas insisté et n’insisterai pas plus ici pour des raisons d’évidente courtoisie.
Armée de métier — Armée de conscription — Conditions du service militaire
La question relative aux avantages et inconvénients d’une armée de métier et d’une armée de conscription est à l’ordre du jour. Ce problème est, certes, de nature politique mais il est aussi étroitement lié aux réalités budgétaires. Il semble à première vue que si les mesures réclamées actuellement pour améliorer les conditions du service militaire étaient accordées, le coût des deux options serait sensiblement équivalent. Dans cette hypothèse, quel est votre avis en ce qui concerne l’Armée de Terre ?
Dans le cas où le service militaire serait maintenu n’y aurait-il pas lieu d’en changer la durée ? D’envisager un service « différencié », ou « fractionné », ou toute autre formule ? D’accorder des dispenses aux mariés et aux cas sociaux ? En bref, parmi les solutions que vous avez présentées dans Le Figaro du 6 février 1975, laquelle préférez-vous ?
Avant de parler de la conscription, je répondrai à vos questions sur le service fractionné et le service différencié.
La formule du service fractionné a été expérimentée dans deux unités, au 43e R.I. à La Lande d’Oué et au 22e RIMA à Albi. Tout d’abord, nous n’avons pas eu le nombre et la qualité de volontaires que nous recherchions bien que, pour faciliter les choses aux étudiants, nous ayons échelonné l’expérience d’octobre d’une année à octobre de l’année suivante. Les volontaires ont été pour la plupart des garçons du niveau de sélection 6 à 7, c’est-à-dire sans diplômes, avec seulement 2 % de bacheliers. Au bout de 8 mois de service, au moment où ils allaient être libérés tout en restant soumis comme réservistes à l’obligation de deux périodes de 2 mois, 30 % ont préféré achever immédiatement leur temps de service, et tous ceux qui sont partis ont signé auparavant une déclaration exprimant l’espoir de ne jamais être rappelés. Il est donc clair que les Français ne prisent pas du tout ce système basé sur la possibilité de longs rappels constituant une rupture dans les activités professionnelles.
Le service différencié constitue une autre solution, en usage chez les Suédois et chez les Suisses. Chez les Suédois, le service s’échelonne entre 8 mois et demi et 18 mois. Font 18 mois les officiers, 14 et 16 mois les sous-officiers, 12 mois les caporaux ; les hommes du rang font de 8 mois et demi à 10 mois. C’est un système qui fonctionne très bien en Suède, mais qui a cependant un inconvénient. Le soldat qui ne fait que 8 mois et demi est définitivement catalogué comme n’ayant aucune qualification. C’est là un système inégal, incompatible avec notre législation actuelle basée sur le principe de l’égalité de tous les citoyens devant le service militaire.
En ce qui concerne les Suisses, on nourrit souvent des illusions sur la durée de leur service. Sachant que la formation commune de base du soldat suisse dure 4 mois, chacun est convaincu qu’il en reste là. En réalité, le soldat suisse donne 330 jours de service à son Armée en 4 ans, le caporal 511 jours ; le lieutenant donne exactement 906 jours, le capitaine de 2 à 3 ans en 15 ans de service, le major de 3 à 4 ans. C’est donc une erreur de croire que l’armée suisse est une milice peu entraînée, et finalement, le soldat suisse, avec ses 330 jours, est présent sous les drapeaux plus longtemps que le conscrit français compte tenu des permissions de celui-ci.
Avant de parler de l’armée de conscription, il faut regarder ce qu’est le contingent. Un contingent représente une ressource de 410.000 hommes environ. Sur ce total nous avons :
Dispensés légalement 24.600 soit 6 %
Inaptes 73.400 soit 19 % (1)
Engagés 20.000 (2)
Service de défense 1.000
Coopération et aide à l’étranger 8.000
Gendarmerie 3.000
Total 130.000
Il nous reste donc 410.000 — 130.000 = 280.000
Or, les besoins sont :
Armée de Terre 215.922
Armée de l’Air 42.632
Marine 19.611
Total 278.165
Par conséquent, dans le cas du service d’un an, les ressources correspondent exactement aux besoins. Il n’est donc pas question de faire un service de 6 mois ou de 8 mois en couvrant les mêmes besoins. Nous n’en avons pas les ressources puisqu’il nous faudrait trouver 278.000 hommes deux fois par an. Nous n’y parviendrons pas même en prenant les dispensés et les inaptes. Le service de 6 mois reste pour le moment une vue de l’esprit puisque nous n’avons pas la ressource pour l’adopter, ou alors il faudrait diminuer les besoins, donc les missions et les unités de moitié.
Dans le cas où le principe du service militaire serait abandonné, mais sans augmentation de budget, quelles modifications faudrait-il apporter aux missions actuelles de l’Armée de Terre ?
Examinons d’abord les coûts des différentes formules de service militaire. Pour un service à 6 mois, les calculs ont été effectués en prenant pour base la nécessité de remplacer par des engagés les jeunes du contingent lorsque le temps de service de ceux-ci ne leur permettait plus d’acquérir les qualifications dont nous avons besoin ou lorsque l’obtention de ces qualifications pour quelques mois devenait trop onéreuse du point de vue coût-efficacité. Les chiffres que je vais citer seraient à ajouter aux sommes inscrites au titre III du budget actuel pour les trois Armées :
• Service de 6 mois type (Programme commun) 4 500 MF.
• Service de 6 mois avec utilisation de volontaires pour 18 mois payés au SMIC (solution de M. le député de Bennetot) 3 800 MF.
• Service de 6 mois limité aux forces du territoire, les forces de manœuvre étant à base d’engagés (solution de M. A. Sanguinetti) 4 630 MF.
Le service de 12 mois est donc actuellement la solution la moins chère, car elle permet de faire tenir certaines fonctions de spécialistes ou de combattants spécialisés par des jeunes du contingent. Mais au fur et à mesure que l’on améliorera les conditions du service militaire, le coût de cette formule s’élèvera. C’est ainsi que chaque franc ajouté au prêt coûte 120 MF pour les trois Armées. La gratuité totale des transports pour l’ensemble des permissionnaires coûterait 600 MF. Si bien qu’avec le prêt à 10 F par jour et les transports gratuits, la différence de coût entre l’armée de conscription et l’armée de métier diminue considérablement.
Mais pour faire une armée de métier, c’est-à-dire à base de volontaires, il faut des engagés, très exactement 95.000 engagés de 3 ans chaque année pour couvrir les besoins qui sont, nous l’avons vu, de 280 000 hommes, sans compter le recrutement des personnels d’active. Or, nous en trouvons péniblement 20 000 actuellement.
Pour réaliser une solution moins ambitieuse, celle de M. Sanguinetti par exemple, dans laquelle seuls les appelés servant actuellement dans les forces de manœuvre — au total 190 000 pour les trois Armées — seraient remplacés par des engagés, il faudrait tout de même en trouver 65 000 par an souscrivant un contrat de 3 ans. Moins ardu en apparence que dans le cas précédent, le problème n’en est pas moins insoluble. Actuellement, dans une conjoncture économique difficile, favorable aux engagements en raison du chômage qui frappe partiellement la jeunesse, nous ne parvenons pas à couvrir nos besoins. Il faut 11 000 engagés par an à l’Armée de Terre. J’en ai engagé 6 500 l’an dernier et peut-être allons-nous atteindre cette année le chiffre de 8 à 9 000 au maximum. Nous sommes loin des 65 000, et quand bien même les payerions-nous au SMIC comme on nous le suggère, nous aurions du mal à les trouver, car je n’imagine pas des jeunes s’engageant en masse pour faire une carrière de « smicards » pendant 3 ans ou plus.
Reste la solution des engagés de 18 mois qui nous est présentée comme la solution miracle. Ces engagements de 18 mois viennent d’être rétablis et mon successeur pourra sans doute parler de cette expérience ici l’an prochain. D’ores et déjà je puis affirmer qu’ils nous aideront mais ne régleront pas le problème.
Les Américains, qui ont choisi la formule de l’armée de métier, parviennent tout juste à leurs effectifs bien qu’ils payent leurs engagés le double du SMIC. Quant aux Britanniques, que je viens de visiter, ils sont en déficit de 10.000 engagés, ce qui leur permet de faire quelques économies.
Par conséquent, quoi qu’il arrive, il est opportun de relancer une campagne d’engagements, puis une nouvelle politique de formation des gradés et des sous-officiers. C’est d’ailleurs ce que vient de faire l’Armée de Terre.
Faisant varier le prix de revient de l’appelé, donc le paramètre coût, au point de rendre celui d’une armée de conscription égal à celui d’une armée de métier, quelle serait la meilleure de ces deux formules pour l’Armée de Terre ?
À effectifs constants, le coût serait en forte augmentation. On peut penser que le gouvernement, dans une situation économique difficile, déciderait de maintenir ce coût à son niveau actuel et donc de réduire les effectifs.
Toute considération politique mise à part, et du seul point de vue technique, il s’agirait de tirer le meilleur parti des ressources budgétaires pour disposer du maximum d’unités instruites dès le temps de paix.
À cet égard, l’armée de métier paraît plus avantageuse, avec des charges d’instruction moindres, une administration plus légère et des frais d’entretien des matériels plus réduits. Avec les mêmes effectifs budgétaires elle permet un taux de disponibilité opérationnelle plus élevé.
Elle exige en revanche le maintien d’un courant d’engagements tel que les objectifs retenus en matière d’effectifs puissent être atteints ; nous venons de voir toute la difficulté de ce problème.
L’Armée entrerait de plus en compétition avec les autres secteurs d’activité sur le marché de l’emploi de manière beaucoup plus accentuée qu’aujourd’hui et devrait améliorer les conditions de son offre pour la rendre plus attractive. Le coût de cette armée de métier subirait alors une nouvelle et forte hausse, pour un entretien toujours aléatoire des effectifs.
Dans ce cas, il faudrait que l’Armée de Terre se limite au corps de bataille et laisse aux autres Armées le soin de défendre leurs installations, ce qui les obligerait à augmenter leurs effectifs. Autrement dit, à mon avis, il n’y aurait aucune modification sensible des effectifs au niveau de l’ensemble des Armées. Nous allons retrouver ce problème à propos du budget.
L’amélioration de la condition militaire et des conditions d’exécution du service militaire va entraîner des dépenses supplémentaires. En revanche, il ne semble pas que l’on s’oriente vers un accroissement correspondant du budget des Armées. Qu’en est-il ?
Les mesures d’amélioration de la condition militaire et de l’exécution du service national reviennent au total en année pleine à environ 3 milliards de francs.
a) Le nouveau statut des officiers et des sous-officiers (y compris les mesures transitoires) nécessite environ l’octroi de 1,3 milliard d’après nos calculs.
b) L’augmentation du prêt et les voyages gratuits des appelés dans la solution décidée par le ministre en 1975 reviennent à 450 MF environ.
c) En outre, les autres mesures destinées à améliorer les conditions de vie et d’instruction des appelés entraînent une dépense annuelle de 400 MF environ.
Le financement de ces mesures est prévu au titre des actions prioritaires décidées par le gouvernement.
En principe, d’après ce que nous savons, celui-ci envisage, en effet, en 1976, de reconduire le budget de 1975 majoré d’un taux de hausse forfaitaire (7 % pour les dépenses de fonctionnement, 6,5 % en principe pour les dépenses en capital) et d’ajouter à ce budget de reconduction les sommes supplémentaires destinées à financer les décisions prises par le gouvernement à titre prioritaire.
De ce fait, le pourcentage du budget des Armées par rapport au PNB serait supérieur au pourcentage actuel (2,9) sans qu’on puisse indiquer à ce jour le taux exact qui sera décidé prochainement par le gouvernement en fonction des actions prioritaires retenues. Le Premier ministre a laissé entendre récemment à Mailly que le budget des Armées serait de l’ordre de 3,1 % du PNB et a déclaré que l’amélioration de la condition militaire ne se répercuterait en aucun cas sur les fabrications d’armement.
Le ministre de la Défense veut que les mesures correspondant aux nouveaux statuts commencent à prendre effet partiellement dès le mois d’octobre 1975 et que l’essentiel soit appliqué au 1er janvier 1976.
Si le budget de la défense n’augmente pas, les plans à long terme seront-ils remis en cause ? Quels programmes seront touchés ? S’oriente-t-on vers une modification des structures ou des missions de l’Armée de Terre ?
Les ressources actuellement allouées aux armées (environ 2,9 % du PNB) ne permettent plus de réaliser les plans à long terme. L’état-major des Armées a étudié les conséquences de cette insuffisance de ressources sur le système des forces et sur la politique militaire.
Le chiffre de 2,9 % du PNB ne suffit pas d’ailleurs à rendre compte du niveau du pouvoir d’achat de l’Armée de Terre. Il faut considérer aussi l’accroissement en valeur absolue du PNB et la part allouée à l’Armée de Terre dans le budget des Armées. Les travaux effectués pour la préparation du 4e plan militaire conformément à mes directives en novembre et décembre 1974, puis repris par le Chef d’état-major des Armées, ont conduit à des études combinant les diverses variables.
Les hypothèses financières formulées en termes de niveaux possibles étaient baptisées A, B et C. J’ai tenu cependant à étudier avec beaucoup de soin une hypothèse B’ qu’il me semblait utile de définir comme la limite inférieure des ressources admissibles pour rester dans le cadre des missions définies par le gouvernement.
Pour fixer les idées, l’hypothèse A nous donnait satisfaction pour notre plan à long terme ; l’hypothèse C représentait une croissance du PNB de 3 % entre 1976 et 1980, une part des Armées de 2,93 % et une part Armée de Terre de 28 % sur l’ensemble ; l’hypothèse B’ dont je viens de parler représente environ 30 % d’accroissement par rapport à C et elle nous permet de ne pas trop diminuer nos moyens, et en tout cas d’accomplir la plupart de nos missions. Rapportés à ce qui précède, ces 30 % peuvent être obtenus :
— soit par une croissance du PNB de 4 % au lieu de 3 %, ce qui n’est pas exclu si nous surmontons la crise ;
— soit par une part des Armées passant de 3 % à 4 % du PNB, ce qui peut être un objectif pour le gouvernement ;
— soit par un accroissement de la part de l’Armée de Terre de 28 % à 36 %, ce qui, à mon avis, paraît exclu ;
— soit par une combinaison de ces trois variables.
Pour répondre plus directement à votre question, je dois vous dire comment j’ai orienté ma réponse concernant les hypothèses B et C.
Mesurant parfaitement la nécessité d’étudier les éventualités financières les moins optimistes, j’ai proposé au gouvernement deux lignes directrices pour la politique de l’Armée de Terre :
— conserver à tout prix le niveau d’efficacité compétitive des forces de manœuvre qui donne crédibilité à l’ensemble de la dissuasion ;
— envisager sur les soutiens en général des économies d’effectifs qui, en dernier recours, pourraient entamer la substance même des forces du territoire ou des forces prépositionnées outre-mer, ou les deux éventuellement. Dans ce cas, les forces du territoire seraient considérablement diminuées, et l’Armée de l’Air et la Marine devraient alors prendre en charge la garde de leurs installations en temps de paix et en temps de guerre, que ce soit en métropole ou outre-mer, d’où une augmentation nécessaire de leurs effectifs.
Et pour en terminer avec cette question, je voudrais insister sur deux points particuliers à l’Armée de Terre.
Tout d’abord, la part des fabrications d’armement y est faible, 25 % du budget en 1975, et une bonne part des programmes s’étale sur dix ans ou plus. Ainsi l’arrêt de l’un d’entre eux ne peut se faire qu’à une échéance précise sous peine de dédits. Porteuse d’économies fort limitées sur l’ensemble du budget, une telle décision ne peut que rompre la cohérence d’un ensemble prévu dans un plan logique cherchant à conférer à un outil de guerre l’ensemble des fonctions nécessaires : choc, mobilité, protection, capacité anti-chars et anti-aérienne. On voit mal laquelle sacrifier.
Par ailleurs, les seules économies significatives sur les effectifs se heurtent à une difficulté tout autre : le domaine politique.
Le service national n’a pas encore trouvé d’autre issue — à quelques menus effectifs près affectés à la Protection Civile — que celle du service militaire. Il représente une volonté du gouvernement, réaffirmée par le Chef de l’État le 25 mars, de faire participer le pays au devoir de défense, mais il devient d’autant plus intouchable que la conjoncture de l’emploi paraît tendue.
En un mot, notre système actuel doit être revu dans une optique d’assainissement intérieur et non pas par la recherche systématique d’économies sur notre budget ; en particulier il faut exclure la déflation qui a déjà abouti au sous-encadrement, a compromis l’avenir de notre Armée de Terre et qui est pour une part non négligeable responsable des incidents que vous savez. En poursuivant dans cette voie nous risquerions fort d’atteindre en profondeur la crédibilité de notre dissuasion, et par là même celle de notre défense.
Exercice du commandement
Afin de permettre aux personnels d’encadrement de se consacrer quasi exclusivement à l’instruction, l’entraînement et la formation de leurs subordonnés et des hommes du rang, ne pourrait-on pas parvenir à une séparation plus rigoureuse, d’une part des fonctions opérationnelles, d’autre part des fonctions territoriales et administratives ? Réduire l’emprise des services sur les corps de troupe et unités ?
Pour ce qui concerne les rôles essentiels des cadres dans les unités opérationnelles, un effort a été entrepris à la suite d’une consultation de toute la chaîne hiérarchique, au cours de laquelle plus de 300 mesures de simplification ont été proposées par les corps ; 110 environ ont fait à ce jour l’objet de décisions d’application qui sont en vigueur.
Pour réduire au maximum les tâches administratives des corps de troupes, l’Intendance et le service du Matériel ont eu recours à l’Informatique. Il y a certes encore à faire, mais rien n’est négligé dans ce domaine. Certains pensent qu’on pourrait s’orienter vers une solution du genre de celle de l’Armée de l’Air, avec des structures d’accueil libérant les corps de toute contrainte administrative ; mais dans cette voie il faut s’avancer avec prudence, car les unités de l’Armée de Terre ont des caractéristiques particulières qui nécessitent une certaine autonomie logistique et administrative. Les avions, au retour d’une mission, se posent indifféremment sur leur base d’origine ou sur une base analogue. Les régiments de l’Armée de Terre dépendent d’une unité de commandement et de soutien (CCS - ECS - BCS) qui se déplace avec eux ou derrière eux. On ne peut supprimer ces unités ni éviter d’utiliser des hommes du rang dans les formations de commandement et de service où ils prétendent ne faire que des servitudes (chauffeurs, transmetteurs, infirmiers, mécaniciens, spécialistes carburants et munitions…). Nous ne pouvons pas non plus placer des civils dans ces unités, ou alors il faut envisager de les mettre en uniforme à la mobilisation même si la classe d’âge des intéressés n’est pas rappelée — ce que font les Allemands. C’est une décision politique et par ailleurs, cette main-d’œuvre civile est chère ; il y a donc des limites dans cette voie.
L’emprise excessive des services sur les unités de l’Armée de Terre est un leitmotiv très souvent entendu mais rarement justifié. Les services sont des agents d’exécution des mesures prescrites par le commandement. Il se trouve quelquefois que la proposition s’inverse. C’est qu’il y a alors faute de commandement. À tous les échelons, le commandement doit commander. Cette prescription ne manque pas d’être rappelée à chaque occasion. J’ai fait une directive à ce sujet six mois après ma prise de commandement ; j’ai signalé que je voulais que les services aident les corps de troupe et n’agissent pas à leur égard en procureurs ni en juges. « Les services sont à la disposition des corps de troupe et non l’inverse », les grands directeurs de service sont les premiers à enseigner cette maxime.
Discipline – Moral
D’aucuns prétendent que le règlement de discipline générale a déjà vieilli ; il est l’objet de contestations. Est-il envisagé de le refondre ? Dans quel sens ?
La philosophie de ce règlement est résumée dans son préambule ainsi que dans la lettre du ministre des Armées de l’époque (1966), M. Messmer, au Président de la République, le général de Gaulle. Les principes qui l’inspirent manifestent le souci de développer l’information, la participation, la responsabilité. Rédigé avant 1968, il a eu le grand mérite de prévoir l’évolution et même de la devancer. Mais, comme tous les autres règlements, il a besoin d’adaptations. Le précédent règlement avait duré 50 ans. Celui-ci ne pouvait prétendre d’emblée pallier tous les inconvénients et inadaptations ainsi accumulées. Il a cependant déjà fait l’objet d’une cinquantaine de retouches ou d’additifs. Une nouvelle rédaction d’ensemble est donc maintenant nécessaire.
Il est certain qu’il faut l’aménager pour donner une initiative et des pouvoirs plus larges à certains échelons hiérarchiques, notamment aux capitaines et aux chefs de corps, aux dépens de la formule, énoncée dans ce règlement, du « général dans son commandement ». Le général est en effet un personnage éloigné et, pour certains problèmes, le chef de corps dispose de plus d’éléments pour prendre des décisions rapides et saines.
Il faut aussi revoir les punitions des sous-officiers. Elles sont actuellement excessives. Lorsqu’ils sont punis d’arrêts, les sous-officiers sont obligés de rester au quartier, et pour ceux d’entre eux qui ont charge de famille, avec de grands enfants, c’est un inconvénient. Il y a d’autres formes à envisager pour la pénalisation des fautes.
En fait, ce qui frappe les hommes, plus encore que le règlement de discipline générale, c’est le règlement de service intérieur qui concerne l’exécution du service. En 30 ans d’âge il a subi très peu de modifications. Il appelle donc un effort de rénovation. C’est pourquoi j’ai soumis au ministre un projet de nouveau règlement ; il est en expérimentation dans un certain nombre d’unités et à l’étude dans les deux autres Armées.
Que pensez-vous d’un régime plus démocratique au sein des Armées : comités d’appelés, élection des caporaux, etc. ?
En ce qui concerne les comités, je rappellerai qu’il en existe en certains domaines : commission des ordinaires, commission des loisirs, commission des sports, auxquelles les appelés participent depuis plusieurs années. Devant le succès de cette expérience, nous l’avons étendue à d’autres secteurs concernant la vie, l’emploi du temps, la tenue, etc. Dans certains régiments ces commissions nous ont valu de la part des appelés des suggestions fort intéressantes qui se sont révélées bénéfiques pour l’ensemble de la collectivité.
Ces groupes de travail constituent une sorte de caisse de résonance et un moyen de contact. Elles sont surtout utiles pour informer la collectivité, il faut donc les garder.
En ce qui concerne l’élection des caporaux, j’y suis résolument opposé. Nous avons l’exemple des Allemands avec les « hommes de confiance » qui leur ont valu les pires difficultés. Par contre, la notation des futurs gradés par leurs camarades peut être une excellente pratique, pourvu que la note reste secrète. Cette pratique est courante dans beaucoup d’écoles et de corps de troupe.
La Bundeswehr a fait une expérience avec le règlement « Innere Führung ». Il ne faut pas aller au-delà. La meilleure discipline est celle de l’Armée soviétique, je m’en suis rendu compte en visitant ce pays par deux fois. Nous devons nous en inspirer et ne pas nous lancer dans la démagogie.
Que peuvent faire les Armées pour faire progresser l’idée de défense dans les esprits des jeunes qui ne se sentent pas — ou très peu — concernés ?
Puisque j’évoquais à l’instant l’Armée soviétique, que j’ai visitée encore récemment, il me semble précisément qu’à cet égard une formule intéressante serait celle qui y est pratiquée.
Dans chaque unité élémentaire, dans chaque régiment, et dans chaque école, il existe une salle réservée à ce qu’on appelle : « les nouvelles du jour ». Chaque matin, pendant une demi-heure, on y commente les événements, les articles de presse et les déclarations des chefs politiques et des chefs militaires. Il n’est probablement pas question d’instaurer un tel système « d’information contrôlée » dans une Armée comme la nôtre. Encore ne faudrait-il pas faire exactement l’inverse. Que voyons-nous en effet ? Des lycéens endoctrinés à fond contre l’Armée, contre l’Institution militaire, contre la Patrie, lancés à l’occasion dans l’agitation politique et les manifestations de rues. Bien plus, dans certains lycées où nous avons envoyé des officiers pour faire connaître l’Armée et expliquer les problèmes du service militaire, nous les avons vus injuriés et empêchés de parler non pas uniquement par les élèves mais bien souvent par des professeurs. Qu’on ne s’étonne pas alors qu’il y ait quelques jeunes recrues posant des problèmes… L’état d’esprit des jeunes vis-à-vis de la défense, c’est avant leur arrivée au service militaire qu’il faut s’en préoccuper, ce ne devrait pas être à nous d’apprendre à certains ce qu’est la Patrie, la Nation et l’État.
En ce qui nous concerne, nous aussi devons savoir évoluer. En tant que Chef d’état-major de l’Armée de Terre, j’ai fait trois directives, la première sur les rapports avec les services, la deuxième sur les rapports dans le commandement et la troisième sur l’évolution à imprimer au style de commandement. Partout où ces directives ont été loyalement appliquées il n’y a pas eu de difficultés insurmontables, les inspecteurs étaient là pour contrôler l’exécution, pour m’en informer et en témoigner.
Il est certain aussi que les journalistes de la presse écrite ou radio-télévisée ne mesurent pas toujours l’énorme responsabilité qu’ils portent en raison du pouvoir qu’ils exercent sur les mentalités de ces jeunes gens. Il est navrant de voir comment des commentateurs des chaînes de radio ou de télévision ont présenté l’affaire de Draguignan ; certains d’entre eux auraient pu être poursuivis légalement pour « incitation des militaires à la désobéissance ». Il s’agit de savoir ce que l’on veut : une véritable défense nationale ou simplement une force nucléaire stratégique, instrument d’une « politique de tout ou rien » ? Si l’on veut une Armée à base de contingents et comportant l’adhésion de la nation, il faut en prendre les moyens.
Tactique
Les enseignements tirés de la guerre du Kippour, notamment dans le domaine anti-aérien et anti-char, ont-ils entraîné des modifications dans le programme d’équipement de l’Armée de Terre ? dans nos principes de tactique ?
La guerre d’octobre 1973 a en effet été très riche en enseignements, au point qu’il y a peu encore toute fiche, toute étude tactique ou technique commençait rituellement par : « Comme l’a démontré la guerre du Kippour… ». C’était excessif, car il ne faut pas perdre de vue que les conditions générales de ce conflit sont très différentes de celles que l’on peut raisonnablement prévoir pour un engagement sous nos latitudes.
Il est vrai cependant que si cette guerre n’a pas bouleversé nos orientations en matière d’équipements et de doctrine, elle les a précisées et, plus encore peut-être, nous a sensibilisés à certaines urgences et par conséquent priorités.
Il en est ainsi de la défense anti-aérienne. La défense initiale égyptienne du Canal a prouvé l’efficacité à attendre d’une défense anti-aérienne sans failles à toutes les altitudes et la confiance que l’on pouvait accorder aux missiles. La conséquence, tirée par les Israéliens, de cette efficacité, les a conduits à une destruction préalable des pièces maîtresses de cette défense avant toute action à l’Ouest du Canal. Nous avons donc réfléchi à tout cela et repris avec plus d’ardeur nos projets concernant le HAWK amélioré (HIP), le ROLAND, le VAB AA (3), etc.
Il en est ainsi également des blindés et de la lutte anti-blindés. La nécessité a été confirmée du développement des capacités de tir des chars : conduite intégrée et cadence de tir, précision du télémètre, munitions nouvelles téléguidées par laser, pour faire face dans les meilleures conditions à des attaques menées selon la tactique de submersion prônée par l’ennemi conventionnel.
Je dois souligner que cette guerre a vu le triomphe du missile et de la charge creuse. Or, depuis des années nous étions en désaccord à ce sujet avec nos alliés anglo-saxons qui, eux, restaient fidèles à la munition à noyau dur, à sabot détachable, qui est l’arme principale de leur char Centurion, lequel s’est trouvé durant cette guerre employé des deux côtés, chez les Israéliens et chez les Jordaniens. Nous pensions aussi que nous étions parvenus à la limite des possibilités de la charge creuse en ce qui concerne les obus (non pas les missiles comme le HOT et le MILAN, d’un diamètre tel que leur charge creuse sera toujours efficace), c’est pourquoi nous cherchions à améliorer la munition anti-chars des canons. Contre ces nouvelles armes, les blindages composites qui sont actuellement à l’étude ou en expérimentation fourniront une parade efficace. Conscients de ce que nous parvenions à cette période de transition et nous inspirant de ce que font les Soviétiques, nous avions étudié en particulier l’obus flèche empenné, à noyau extra-dur, tiré à très grande vitesse initiale dans un canon à âme lisse. Contre une telle arme, il n’y a probablement aucune parade prévisible. Toutefois sa précision laisse encore à désirer ; nous travaillons à son amélioration.
Nous savions aussi depuis 1939-1945 que le feu était le grand ennemi du char. Cette guerre a fait progresser les procédés de lutte contre ce danger : combinaisons ignifugées, courroies dans le dos de la combinaison pour sortir les hommes blessés, etc. Nous étions aussi en liaison avec les Suédois pour étudier leur système de protection contre le feu.
La supériorité des véhicules blindés à roues sur les engins chenilles a été confirmée au point de vue mobilité stratégique. D’où notre détermination de pousser la production de l’AMX 10 RC et du VAB. Nous avons également vu se confirmer la nécessité pour notre corps de bataille de disposer d’unités de porte-chars, ne serait-ce que pour acheminer rapidement des chars de renfort.
Enfin, il est apparu nécessaire de développer une infanterie ayant une certaine polyvalence et capable de constituer autour des blindés un environnement « anti-anti-chars » afin de leur éviter d’être cloués au sol par la densité des armes anti-chars lors de certaines phases du combat : débouché en particulier. C’est une des raisons qui conduit à la création de brigades d’infanterie du territoire polyvalentes.
Contrairement à l’affirmation de l’équipe de la « Non-Bataille », cette guerre a prouvé que l’artillerie gardait toute sa valeur, d’autant plus que sa précision pourrait être considérablement améliorée par l’utilisation de « l’éclairage laser » des objectifs, précisément pour la neutralisation de ce grand nombre d’armes anti-chars filoguidées. Les Israéliens qui avaient quelque peu négligé l’artillerie en ont fait l’amère expérience.
Infrastructure
Les camps d’entraînement de l’Armée de Terre sont insuffisants. Le problème se poserait avec une acuité accrue si les forces françaises en Allemagne étaient rapatriées. Qu’envisage-t-on pour le résoudre ?
Nos camps de manœuvre couvrent 100.000 hectares alors que, selon les normes OTAN — révisées par nous en diminution — il nous en faudrait 150.000. En Allemagne où nous avons deux divisions (6 brigades), celles-ci y utilisent deux camps. Le problème que nous poserait leur rapatriement ne nous a pas échappé et c’est pourquoi nous avons voulu libérer des servitudes des tirs les camps de Champagne se prêtant remarquablement à la manœuvre et très bien situés pour les forces faisant face à l’Est et au Rhin. Nous avons donc transféré le Centre de perfectionnement des tirs de blindés de Mailly et l’École d’artillerie de Châlons dans la région de Draguignan pour utiliser à fond les 30.000 hectares du camp de Canjuers qui permettront l’exécution centralisée de tous les types de tirs : artillerie, blindés, infanterie, mais qui ne se prêtent pas bien à la manœuvre en raison de la nature rocailleuse du terrain. Les camps de Champagne ainsi libérés seront alors réservés à la manœuvre et à quelques tirs d’unités séjournant dans les camps.
Le transfert des écoles au sud de la Loire constitue donc une première réponse au problème que vous posez. Mais ceci ne suffisait pas. Il faut en effet, pour permettre la manœuvre d’une brigade, un camp d’au moins 10.000 hectares. Aussi avons-nous cherché à accroître la superficie de certains camps. Seuls se prêtaient à cette extension les camps de La Courtine (5.000 ha) et du Larzac (3.500 ha).
Finalement, le choix du ministre s’est porté sur le seul Larzac comme étant le camp dont l’extension impliquait le moins d’expropriations de terrains cultivables et permettant de maintenir les pâturages comme cela se passe actuellement.
Les manifestations et incidents récents
Quelle importance accordez-vous aux manifestations qui ont eu lieu il y a quelques mois à Draguignan, Karlsruhe et Verdun ?
Les enquêtes approfondies à propos de ces incidents ont révélé l’existence, dans les formations où ils se sont produits, de petites équipes d’agitateurs parmi les appelés du contingent qui, dans les trois cas, ont exploité une cause locale de mécontentement : dans le cas de Draguignan, ce fut la situation faite soi-disant aux Antillais ; dans le cas de Karlsruhe, ce fut le prix des transports sur les chemins de fer allemands pour se rendre en permission ; dans le cas de Verdun, ce fut l’émotion causée par un accident mortel tout à fait exceptionnel, qui s’est produit non pas pendant une manœuvre avec chars, mais après. Ces agitateurs ont donné à ces événements, grâce à la presse et à la télévision, une portée démesurée tendant délibérément à généraliser un climat d’indiscipline.
En définitive, cette tentative de semer le désordre dans les Armées, en dépit du retentissement inopportun que lui ont prêté certains moyens d’information importants, a échoué. Mais un fait doit dorénavant être retenu, c’est l’existence dans chaque régiment d’un petit noyau de jeunes qui sont prêts à profiter de toutes les occasions pour organiser des manifestations d’indiscipline. Il faut donc être très vigilant, les déceler à temps et se montrer juste mais ferme. Les lois et règlements doivent être respectés et la discipline doit être maintenue par tous les moyens à la disposition des chefs de corps et de la hiérarchie. Mais qu’on ne nous dise pas que le commandement a été surpris ; dans tous les rapports sur le moral et lors des conseils auxquels participaient les chefs d’état-major depuis quatre ans, des mesures comme les facilités de transport aux permissionnaires et l’augmentation du prêt étaient demandées sans relâche. Elles viennent d’être accordées mais sous la pression des événements, alors que nous avions voulu les prévenir. Maintenant nous, les responsables, ou anciens responsables des Armées, nous vous disons ceci : il n’y a pas que des problèmes du contingent dans les Armées, il y a aussi des problèmes pour les cadres d’active, en particulier pour les sous-officiers ; il faut absolument les résoudre à l’occasion de la sortie des nouveaux statuts. Il ne faut se faire aucune illusion ; si cette fois les cadres, après avoir été consultés, étaient une fois de plus déçus, la crise serait beaucoup plus grave qu’au niveau du contingent. Je tenais à vous le dire, Messieurs de l’IHEDN, en prenant, pour la dernière fois, la parole devant votre Institut. Ce sera mon ultime message au moment où je quitte mon poste de chef d’état-major de l’Armée de Terre, convaincu qu’il ne faut pas exagérer la gravité de certains événements et en négliger d’autres. ♦
(1) Dans ce total sont également compris les cas sociaux. Les inaptitudes peuvent être d’ordre physique, psychique ou psychiatrique. La proportion de 19 % tend à décroître actuellement.
(2) Pour les trois Armées.
(3) HAWK : missile anti-aérien d’origine américaine fabriqué sous licence. ROLAND : missile anti-aérien fabriqué en coopération avec la RFA. VAB AA : véhicule de l’avant blindé anti-aérien, armé d’un bitube de 20 mm avec radar d’acquisition.