La société numérique dans sa capacité à supprimer par le calcul toute forme de risque ne conduit pas à un espace parfaitement contraléatoire puisqu’elle possède ses propres zones d’ombre. Elle produit en effet également de l’inconnu, du secret et de l’incertitude en offrant des territoires nouveaux aux stratégies prédatrices ou perturbatrices.
Numérique : l’incertitude et le secret
Digital Technology: the secret and uncertain
The digital society in its capacity to remove by calculation any form of risk does not lead to a perfectly contralatory space since it has its own gray areas. It also produces the unknown, secrecy and uncertainty by offering new territories to predatory or disruptive strategies.
Le développement d’Internet a inspiré pléthore d’analyses et de scénarios (1). Dans cette vaste production sur les révolutions économiques, sociales ou culturelles que ne manqueraient pas de susciter les technologies numériques (2) (suivant les périodes les futurologues disent télématique, autoroutes de l’information, cyber, réseaux, 2.0…), quelques thèmes jouent le rôle de mythes fondateurs. Les uns sont dans le registre catastrophique (triomphe de Big Brother, panne ou attaque cybernétique paralysant tout), d’autres exaltent la révolution numérique comme la grande réductrice de
l’incertitude et garante d’un destin enfin maîtrisé.
D’un côté, l’ordinateur est représenté comme capable de résoudre les problèmes les plus complexes et de réduire l’aléa dû à l’erreur ou à l’ignorance humaine (version technologique du « règne des choses » de Saint-Simon). De l’autre, les futurologues se réjouissent que chacun puisse bientôt s’exprimer et que toutes les connaissances du monde se partagent et se démocratisent. Dans cette perspective d’une société rationnelle et transparente à elle-même, les politiques prédisent l’instauration d’une démocratie paisible sur la grande « Agora planétaire », et les stratégistes (à commencer par ceux de la RAND) théorisent dès les années 1990 la numérisation du combat comme fin du « brouillard » et de la « friction », jusque-là précisément inhérents au conflit. Or, non seulement cette rhétorique du « tout » (tout surveiller, tout anticiper, tout coordonner, tout gérer à distance ou encore tout exprimer, tout rendre transparent…) trouve vite ses limites, mais elle néglige une dimension du monde numérique : sa prédisposition à produire de l’inconnu et du secret (3).
Un paradoxe veut que la montée en puissance des machines à communiquer ait pour rançon l’expansion de zones d’ombres, délibérées ou non.
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