L’absence de menace directe, la professionnalisation, la réduction du budget de la Défense, la succession des réformes et l'essoufflement du sentiment patriotique ont marginalisé le militaire dans la société française. Cette évolution métamorphose la nature même du métier de combattant. Nouveaux gladiateurs, nouvelles arènes… Pistes de réflexion pour rénover le lien armées-nation.
Armée française : le syndrome du gladiateur ?
French Army: the gladiator syndrome?
The absence of direct threat, the professionalization, the Defense budge cuts, and the succession of reforms and loss of impetus, of patriotic sentiment, have marginalized the military in French society. This change has metamorphosed the very nature of the soldier’s profession. New gladiators, new arenas… These points of reference renovate the link between army and nation.
Dans le Livre Premier de son célèbre Servitude et Grandeur militaires paru en 1835, Alfred de Vigny, passé quelques années auparavant de l’épée à la plume, s’interroge sur la condition du militaire. Déçu par la vie de garnison et par les errements politiques de l’époque, il dresse le constat suivant : « L’existence du soldat est comparable à celle du gladiateur. Le peuple est le César indifférent… auquel les soldats disent sans cesse en défilant : “Ceux qui vont mourir te saluent” ». Selon Vigny, plus que l’incarnation de la nation en armes, le soldat serait donc devenu ce combattant professionnel de l’arène risquant sa vie, malgré lui ou pas, en quête de récompenses ou d’une parcelle de gloire, sous l’œil amusé et détaché du public. Au-delà du pessimisme qui caractérise l’œuvre de cet auteur romantique, ce sombre tableau interpelle aujourd’hui encore. Pratiquement absentes de la sphère politique comme sociétale, les considérations relatives au fait militaire ne semblent plus être la préoccupation que d’un cercle restreint de spécialistes, alors même que 80 % des Français ont une opinion favorable de leurs armées (1). Peut-on dès lors parler d’un syndrome du gladiateur ?
Entretenue par l’essoufflement du sentiment patriotique, cette perception est globalement juste. Derrière la médiatisation de façade, comment ne pas constater cet effacement progressif du fait militaire, sur notre territoire, dans notre culture, dans les consciences même ? La professionnalisation autant que les récentes réformes ont engendré une disparition du militaire dans l’espace national. Dans un pays qui s’est façonné à coups d’épée et dont l’histoire se confond souvent avec celle de son armée, cet effacement pose la question de la capacité des mondes civil et militaire à échanger pour se reconnaître.
La disparition des armées françaises
Décidée parce qu’il n’y avait plus de raison stratégique d’opposer des poitrines à d’autres poitrines, la suspension du service militaire en 1997 répondait également à des impératifs économiques et de modernisation de l’outil de défense. La professionnalisation qui en résultait portait toutefois en elle une rupture majeure : celle du « lien charnel » unissant chaque Français à son pays et à son armée. La période du service marquait durablement la conscience de l’appelé et conférait un référentiel militaire commun à de nombreuses générations. « L’armée est la grande patronne qui nous baptise tous français » chante Paul Déroulède dès 1871. Au-delà des raisons qui ont justifié ce choix, la suspension de la conscription marquait l’abandon d’un puissant catalyseur de cohésion sociale pour le service du pays.
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