Politique, économie et stratégie dans la guerre du Pacifique (1941-1945) (I)
Le Japon a peut-être commis une des erreurs les plus lourdes qui puissent être imputées à la stratégie de l’Axe quand, maître encore de choisir entre l’Ouest et l’Est, il a opté pour celui-ci, assailli la flotte américaine à Pearl Harbor, marché sur l’Insulinde, la Nouvelle-Guinée et l’Australie, en se flanc-gardant simplement du côté du continent asiatique. Une invasion de la Sibérie, voire, même après la rupture avec les États-Unis, une poussée violente à la fois terrestre et aéronavale en direction de l’Inde et de l’Océan Indien aurait suscité aux Alliés les pires difficultés ; au lieu que la conquête du Pacifique sud-occidental entraînait le Japon dans des opérations à peine coordonnées avec celles de ses partenaires et, tranchons le mot, égoïstes, qui allaient absorber toutes ses forces sans bénéfice décisif pour la coalition dont il était membre.
Mais, de même qu’on sous-estimait à Tokio la puissance militaire des États-Unis et leur potentiel de guerre, on y était assuré aussi de l’aptitude de l’Allemagne à achever seule les armées russes, en dépit des déboires de la campagne d’hiver, comme à chasser les Britanniques du Proche-Orient. Les perspectives stratégiques ne paraissaient nullement exiger que le Japon sacrifiât à la cause commune son rêve de devenir une puissance coloniale et économique mondiale, en s’emparant de territoires riches de toutes les matières premières qui lui manquaient encore, riches de main-d’œuvre et de denrées d’exportation, au surplus à peine défendus. L’occupation de la Chine du Nord et l’assujettissement du Mandchoukouo au plan quinquennal de production de 1937-1941 avaient déjà donné au Japon à peu près toute la houille et tout le minerai de fer dont il avait besoin ; la conquête de l’Insulinde allait y ajouter le pétrole, le caoutchouc, les métaux non ferreux, les huiles végétales…
Ainsi, pensait-on, s’achèverait le programme, imposé à l’origine par le parti militaire aux hésitations des milieux politiques et économiques, mais voulu à présent par toutes les catégories de la population, qui devait faire de l’industrie japonaise — du reste entièrement dirigée par l’État depuis le vote de la loi du 5 mai 1938 sur la mobilisation nationale — une machine aussi bien agencée pour supporter l’effort d’une guerre que pour inonder le monde de ses produits après le retour de la paix. Pour un gouvernement ambitieux, orgueilleux et que la conjoncture favorable aveuglait sur l’énormité des risques courus, la partie valait d’être jouée. Comment eût-il entrevu que la stratégie qu’il choisissait porterait de l’eau au moulin des Alliés ?
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