Billet - L’urne et le Prophète
La liberté est incompatible avec le monde musulman, c’est comme ça, ne discutez pas ! La démocratie c’est bien pour nous mais pas pour les Arabes. Vous dites qu’ils ont inventé un tas de bricoles comme la chirurgie, l’astronomie ou le zéro mathématique ? Oui, mais question liberté justement, c’est zéro. Vous en connaissez, vous, des Voltaire saoudiens ? S’ils insistent on va leur rétrocéder un modèle de démocratie dégradée à l’irakienne et s’ils ne sont pas contents on remettra des dictateurs, l’essentiel est que la pompe à essence nous reste ouverte.
Et puis l’islam n’est pas plus soluble dans la République que la démocratie n’est faite pour « ces gens-là », ça aussi c’est bien connu. Les philosophes, ici et là-bas, veulent en débattre : pour quoi faire ? Qu’ils se contentent des fatwas de nos maîtres-à-penser abonnés aux plateaux télé, dont la vision se limite à séparer les bons Arabes assimilés des vilains islamistes.
D’ailleurs où se cachent-ils ceux-là ? Si on ne peut plus compter sur eux, à qui se fier ? Ces islamistes sont reposants comme des évangélistes texans : aussi cinglés qu’ils sont prévisibles. Avec eux la diplomatie croyait savoir à l’avance où allait l’Orient, sans eux s’ouvre une période d’incertitude, de libre choix, de peuples qui veulent les mêmes droits que nous ; ingérable ! Mais ça ne va pas durer, les imams vont nous remettre tout ça d’équerre, tant il est prouvé que les nations arabes n’ont d'alternative qu’entre théocratie et autocratie. Et puis si l’archange Gabriel avait inspiré au Prophète la démocratie — lui qui n’y a converti les papes que très tardivement — ça se saurait : Muhammad n’était pas Voltaire, mais il n’était pas Rousseau non plus.
Oui et non. L’islam est une religion du désert ; à notre course compulsive vers le trop-plein, faite d’agitation permanente et d’accumulation frénétique, elle répond par le vide et le silence, donc l’interrogation. Même si elle y met le nom de Dieu, elle sait gérer l’indéterminé, ce que nous ne voulons plus faire lorsque nous chipotons sur cette « gageure démocratique qui exalte comme le principe même de son établissement un principe qui menace toujours de ruine tous les gouvernements », écrivait Jean Guéhenno. Le Dieu du Prophète n’est certes pas celui du retrait talmudique ni du libre arbitre romain, mais pas davantage le Dieu programmé de Rockefeller, de Calvin ou de Ben Laden. Il est imprévisible comme l’électeur dans l’isoloir, lui dont les voies sont impénétrables. En un mot : libre. Démocrate pour autant ? Inch Allah ! Retrouver au fond des urnes arabes cette démocratie que nous avons inventée puis perdue de vue ? Tiens, ça aurait intéressé Rousseau. Et amusé Voltaire. ♦