Billet - Le mot et la chose
Il s’agit d’un texte connu d’un abbé de Cour du XVIIe siècle, Gabriel-Charles de Lattaignant : « Madame, on vous a dit souvent le mot, on vous a fait souvent la chose ». Il faudrait l’apprendre par cœur dans les cabinets ministériels. Prenons le mot « sécurité » : dite nationale, on lui compte 377 occurrences pour les 115 pages du Livre blanc, ce grand fatras de mots pour ne pas dire grand-chose sauf que les Américains sont des gens sympas qu’il faudra prendre garde à l’avenir de ne plus contrarier.
Le mot vient de chez eux, comme la chose, cette indistinction entre extérieur et intérieur, entre-temps de paix (inexistant par principe) et temps de guerre (permanent par définition), ils l’ont recopié du Règlement militaire argentin de 1968 – comme quoi pendant que nos étudiants rêvaient « à la plage sous les pavés », les généraux-dictateurs avaient déjà anticipé de quoi notre monde serait fait. Mais les Américains ont le mot et la chose, le Pentagone et les 11 porte-avions, nous n’avons qu’un porte-avions et pas encore de Pentagone. Voilà sans doute la raison pour laquelle dans le Livre blanc, le mot « guerre », celle qu’on fait avec des Rafale et des Fremm, n’apparaît que 47 fois « pour que le jour où le mot viendra seul hélas sans la chose, il faut se réserver le mot pour se consoler de la chose », poursuivait notre petit abbé.
On lui connaît des émules. La mission parlementaire d’octobre 2008 excellait déjà dans l’art de la litote : le conflit qui se déroule en Afghanistan a toutes les caractéristiques d’une guerre. « C’est qu’on peut dire encore le mot alors qu’on ne fait plus la chose ». Ne nous a-t-on pas appris que nous ne resterons pour tenter de convaincre les taliban de ne pas encager la moitié de leur propre humanité que si notre sécurité est assurée, l’armée qui fut celle de Kléber et de Lannes ne sortant plus que sous protection policière afghane ? On connaissait la bataille conduite du regretté Maurice Gamelin, on a maintenant la guerre sécurisée : deux mots pour une même chose, lequel choisir ? Mais la mobilisation n’a jamais été la guerre et nos troupes poursuivent leur repli en bon ordre sur des positions préparées à l’avance. « Et vous n’avez pas dit le mot qu’on est déjà prêt à la chose ! ».
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