Billet - L’or de la Gueuse
Au mois de septembre dernier, une tribune publiée dans un journal qui se dit de gauche alors qu’il n’est que quotidien, prétendit libérer les Français de ce carcan que l’on qualifie de gaulois, par ce titre provocateur : « Jeunes de France, votre salut est ailleurs : barrez-vous ! ». L’ailleurs était clairement désigné par la signature des Dîners de l’Atlantique, cénacle dont la raison sociale affiche des amitiés autres que culinaires, et à l’invitation duquel Le Cadet s’égara un soir, perdu au milieu des habitués de l’ambassade de l’avenue Gabriel et des demoiselles de l’Hôtel Crillon. Ce n’est pas la seule officine qui, sous couvert d’indéfectible amitié franco-américaine, ne cache pas son intention de débaucher les compétences de notre forcément croulante République, cette Ve qui serait revenue aux pires heures de la IIIe.
Vous me direz que les actualités Pathé du 23 mai 1940 péroraient déjà que les Français savent « que la sympathie agissante de l’Amérique leur est totalement acquise ». En fait d’agissante, tout ce qui l’intéressait alors était d’acquérir notre stock d’or. Envoyez-nous les armes achetées, pleurait Paul Reynaud : commencez par transférer le reste de votre or dans les coffres de la Federal Reserve, rétorquait l’ambassadeur de Roosevelt, d’ailleurs notre prévoyant et prévenant Président a déjà envoyé, à tout hasard, une division de croiseurs aux Açores pour faire le transbordement. Que répondre à tant de sollicitude ? Il faut dire que lorsque, un an plus tôt, Français et Britanniques étaient venus visiter les usines d’un New Deal en panne avec chacun 2 500 tonnes de métal jaune dans leurs malles, l’administration américaine avait immédiatement flairé la bonne affaire, inventé le Cash and Carry et anticipé la suite. Ou comment finir par imposer l’étalon dollar-or en commençant par siphonner tous nos stocks.
Les Américains ne sont pas des philanthropes, constatera notre ministre des Finances d’alors. Mais ils nous aiment tellement qu’ils sont prêts à recueillir ce que nous avons de plus précieux. La Royale se prêta au jeu mais l’essai ne fut pas transformé. L’or de la Gueuse, devenu entre-temps celui du Maréchal, fut finalement caché aux Antilles et à Dakar puis au Mali, non sans au passage que la flibuste anglaise ne cherche à s’en emparer, premier sujet de dispute entre Churchill et de Gaulle qui évoquent l’affaire dans leurs Mémoires respectives.
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