La faillite des « machines »
La plupart des organisations internationales que le général de Gaulle qualifiait de « machins » sont loin d’avoir atteint leurs objectifs. Certaines sont même en faillite. Ce dur mais réaliste constat est analysé dans ce livre événement d’Yves-Marie Laulan qui a suivi une longue carrière dans les institutions internationales (FMI, Banque mondiale, Otan), au Crédit municipal de Paris et à l’Institut d’études politiques. Ces organisations avaient pourtant été créées pour assurer le maintien de la paix dans le monde, pour promouvoir la stabilité des monnaies, faciliter le développement des pays pauvres, améliorer l’état sanitaire de la planète et mettre un terme à l’illettrisme. Or la kyrielle de conflits régionaux qui ont meurtri une partie importante du globe, les crises financières à répétition, la prolifération du sida et l’accroissement de la misère dans la plupart des pays du Tiers-Monde (en particulier en Afrique) ont entamé sérieusement la crédibilité de ces grands établissements internationaux.
L’auteur s’interroge d’abord sur les résultats obtenus par l’Otan et l’Onu dans la poursuite de leurs missions de paix. La comparaison entre les deux organisations tourne nettement à l’avantage de l’Otan. Les raisons du succès de l’Alliance atlantique s’appuient sur deux facteurs. Le premier concerne l’obligation de chacun des membres d’aider un pays en cas d’attaque, conformément à la fameuse doctrine des quatre mousquetaires d’Alexandre Dumas, « Un pour tous, tous pour un ». Ce sont ces « liens de fer » unissant, pendant un demi-siècle, le continent américain à l’Europe occidentale qui ont permis de maintenir un certain équilibre géopolitique et une stratégie efficace de dissuasion entre deux blocs antagonistes. Le second facteur est lié à l’arme nucléaire qui a évité un conflit classique. L’hypothèse d’un affrontement à grande échelle en Europe a été rendue impossible pendant la période de la guerre froide en raison des risques insensés et irrationnels auxquels se serait exposé un éventuel agresseur. Il en résulte qu’aujourd’hui encore l’Otan demeure le seul système militaire crédible au monde. Cette affirmation a été amplement démontrée en Bosnie où seule l’Otan a pu intervenir de façon efficace et décisive. En revanche, l’Onu s’est très souvent embourbée dans de longs conflits qu’elle a essayé d’arrêter à coups de résolutions qui ont été rarement appliquées.
Le jugement est également sévère pour d’autres organismes onusiens. En premier lieu, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’a pu enrayer la dégradation des conditions sanitaires dans les pays peu développés. Plus d’un milliard de personnes, soit le cinquième de la planète, souffrent en effet de graves maladies. Les rapports officiels constatent que sur les 46 millions de décès annuels directement imputables à une pathologie, 20 millions auraient pu être évités par une amélioration des systèmes de santé, des modes de vie plus sains et une éducation sanitaire plus poussée. Si quelques maladies (comme la variole) ont été éradiquées, les pays tropicaux supportent encore des maux endémiques. Deux milliards de personnes, soit 40 % de la population mondiale, sont exposées au risque du paludisme qui tue encore 30 % d’enfants. Des maladies parasitaires qu’on pensait détruites réapparaissent en Chine, en Inde, en Afrique et en Amérique latine. Dans le même temps, d’autres fléaux comme le sida se propagent d’une façon préoccupante. De plus, la « couverture vaccinale » des enfants, bien qu’améliorée, reste nettement insuffisante. Dix millions de nouveaux cas de tuberculose surviennent chaque année et trois millions d’individus en meurent. À ce tragique tableau, il convient enfin d’ajouter ces données inquiétantes : 200 millions d’êtres humains souffrent de malnutrition, plus d’un milliard n’ont toujours pas accès à de l’eau potable et près de 2 milliards d’enfants présentent un retard de croissance. Au vu de ces résultats catastrophiques, force est de constater l’échec patent de l’OMS qui s’était pourtant fixé comme objectif majeur d’améliorer l’environnement sanitaire des habitants de la planète.
Le bilan de l’Unesco fait également l’objet d’une grande controverse. La politisation excessive de cet organisme, à l’origine destiné à la sauvegarde de certains chefs-d’œuvre de l’humanité et au rapprochement des hommes par la création d’un creuset culturel, a provoqué de nombreuses crises. La secousse la plus grave est née de la tentative d’instauration d’un nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (Nomic). À la fin des années 70, le directeur général de l’Unesco se mit à dénoncer l’hégémonie des agences de presse occidentales qui, selon lui, diffusaient 80 % des nouvelles sur la planète et conditionnaient ainsi la perception du monde. Le Nomic fut mis en place pour corriger cette situation. En fait, le but, à peine dissimulé, de ce projet était de mettre en place un mécanisme de contrôle de la circulation de l’information par l’Union soviétique et ses alliés du Tiers-Monde. Cette dérive entraîna le départ des États-Unis de l’Unesco qui perdit ainsi 25 % de son budget. Dans le même temps, l’organisation fut sévèrement critiquée pour sa bureaucratie outrancière, pour sa gestion très controversée et surtout pour ses dépenses excessives dues notamment au train de vie jugé scandaleux de certains de ses dirigeants. Malgré cette équivoque, Yves-Marie Laulan souligne à juste titre des réalisations concrètes, comme la remise en état de certains sites (temples de Borobodur en Indonésie, d’Abou-Simbel en Égypte…) et le sauvetage des villes de Fès et de Venise.
Pour l’auteur, il est clair que les organisations internationales créées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale sont actuellement inadaptées au nouvel environnement international en pleine mutation. Dès 1969, le célèbre rapport Jackson avait affirmé sans ambages que le système des Nations unies était un « monstre préhistorique dont toute direction rationnelle est impossible ». Pour beaucoup d’observateurs, cette remarque demeure aujourd’hui plus valable que jamais. Par ailleurs, l’impression de faste abusif et quelque peu choquant du train de vie de certaines institutions a gravement porté atteinte à leur notoriété. Au vu de ce bilan désastreux, la conclusion du livre reste sans appel : il ne faut pas attendre le prochain cataclysme « pour que s’organise l’indispensable refonte d’un système international dont on a pu constater à quel point il était vermoulu et inadapté à la recherche de solutions aux défis de demain ». ♦