Les enjeux organisationnels de la lutte contre le terrorisme
Sous ce titre abscons d’un mémoire de DEA, le but est d’examiner la façon dont, au cours du double septennat qui s’est achevé en 1995, nos responsables ont été amenés à prendre en compte (formule imagée de « mise sur agenda ») le phénomène terroriste, à définir une politique de combat et à la mettre en œuvre. On comprend donc qu’il ne s’agit ici ni de porter un jugement moral sur le terrorisme, ni d’examiner le détail des procédés de lutte, mais de voir pourquoi et comment les pouvoirs publics, y compris pendant les périodes d’alternance, ont fait face à un problème que, non seulement ils ne pouvaient ignorer, mais qui mettait en jeu leur crédibilité. À partir d’un certain « taux d’anxiété » et des conséquences électorales à en attendre, la réponse ne pouvait plus être uniquement policière, mais montait au niveau gouvernemental.
Face au terrorisme, la réprobation est unanime dans le discours, mais les stratégies divergent. Deux interprétations sont possibles : la banalisation, c’est-à-dire l’assimilation au droit commun, et la dramatisation, à savoir le « scénario guerrier » ; et aussi deux attitudes : la fermeté soufflée par la « tentation de l’arbitraire » et la négociation alliée au souci de « ne pas porter atteinte aux libertés ». En fait, après un bref épisode initial où l’idéologie de la gauche la conduit à une ouverture décevante et à la démotivation de la police, on parvient à une synthèse de ces deux attitudes qui évolue plus selon la personnalité des hommes que selon leur appartenance : la poigne domine aussi bien chez Joxe que chez Pasqua. Le décalage persiste toutefois entre la proclamation et l’action ; les nuances sont multiples ; le troc peu glorieux de la tolérance contre la tranquillité du « sanctuaire » permet de ne pas « perdre de marchés persans ».
L’auteur se livre à un rapide tour d’horizon des modèles étrangers et de leurs particularités, car le terrorisme ne s’arrête pas aux frontières, avant de consacrer à la situation française un chapitre occupant plus de la moitié du volume, ce qui est d’ailleurs logique et conforme à son objet. Dépassant les trois grands de l’antiterrorisme que sont les RG, la DST et la PJ, la description offerte, accompagnée de nombreuses annexes, est actuelle, vivante et fort bien documentée. De nombreux noms sont cités, les sympathies politiques et les perspectives de carrière évoquées. Des jugements sont portés sans ménagement : peu aimable pour la DGSE victime d’une « hiérarchie lourde et peu efficace », plus conciliant pour la cellule élyséenne qui présenta l’inconvénient de mettre la présidence en première ligne et de la « contraindre à couvrir les bavures », sceptique enfin sur le bicéphalisme du type Defferre-Franceschi ou Pasqua-Pandraud. Le lecteur sera, non pas étonné, car il en a déjà quelque idée, mais rendu perplexe devant le foisonnement des services et la « multiplication des instances », qui se prolongent à l’échelle européenne, de Schengen en Trevi. La complexité de l’affaire exige spécialisation et « mémoire longue », tandis que le pouvoir éprouve de son côté le constant souci de ne pas créer un service trop puissant et trop indépendant, mais en contrepartie la coordination ne va pas de soi, cloisonnement et rivalités menacent.
L’analyse est fine, l’exactitude recherchée. Tout au plus peut-on relever une présentation un peu tronquée de la Bundesgrenzschutz « spécialisée dans le maintien de l’ordre » et de notre gendarmerie mobile apparaissant comme une sorte de réserve de la « blanche ». Du souci de méthode et de clarté résultent quelques répétitions et évidences, ainsi qu’une certaine lourdeur, à l’image de cette « prolifération de propositions concomitantes et consécutives » de la page 86.
La conclusion peut sembler bien optimiste. « Affirmer que le terrorisme a échoué » paraît audacieux. Le succès de Vitry-aux-Loges est peut-être un Austerlitz, mais l’homme de la rue s’étonne tout de même que des individus si recherchés aient mené si longtemps une vie paisible dans une ferme de l’Orléanais. L’Uclat et Vigipirate nous ont sauvés des attentats pendant la guerre du Golfe, mais il reste à savoir si Saddam a réellement tenté de nous attaquer sur ce terrain. Le profane aurait pu craindre que le terrorisme ait été sacralisé à certaines époques par de bonnes âmes quand son but était jugé louable, que d’anciens terroristes soient devenus chefs d’État, que notre société comporte de terribles et multiples vulnérabilités, ou encore que la Corse soit devenue un Far West. Vaines craintes, nous dit Cettina après maintes recherches. Elle nous en voit bien rassurés ! ♦