Les conquérants du cybermonde
La révolution que nous vivons dans le domaine de l’information est liée aux progrès extraordinaires qui ont été réalisés dans trois domaines de recherche : les microprocesseurs, la fibre optique et surtout le numérique qui contient de longues séries d’unités élémentaires, ou bits, dont chacun est égal à 0 ou à 1 (d’où le terme numérique). Ce codage est aujourd’hui couramment appliqué au texte et à l’image de synthèse (traitement de documents, jeux vidéo), à la voix (téléphone numérique) et à la musique (CD audio). La grande nouveauté réside cependant dans la création d’uri nouveau paramètre qui, sous de nombreux aspects, est en train de bouleverser notre mode de vie. Dorénavant, les images fixes peuvent être animées, c’est-à-dire qu’un même support dit multimédia peut contenir un mélange de textes, de musiques, de récits sonores, de photos et de séquences filmées. Pour la première fois, un utilisateur a la possibilité, sur simple pression d’un bouton, de « naviguer à sa guise » dans des œuvres éducatives culturelles ou simplement ludiques, qui regroupent un ensemble d’éléments de livre(s), de disque(s), de film(s).
Toutefois, contrairement aux médias traditionnels exploités de manière plutôt passive, cette nouvelle forme de lecture s’appuie sur des ordinateurs qui sont dotés d’un certain degré d’interactivité : les interventions de l’usager influent sur le déroulement du programme. Ce volet révolutionnaire de la communication a établi des relations d’un genre totalement différent où les individus, au lieu de se rencontrer physiquement, conversent et échangent des données par terminaux et réseaux interposés qui couvrent la planète entière. Cet ensemble d’échanges forme ce que Dominique Nora appelle le cybermonde. Le livre étonnant de la journaliste du Nouvel Observateur et ancienne correspondante permanente aux États-Unis de Libération et de L’Express nous décrit le développement extraordinaire de cette cybersociété dans un style simple qui met l’ouvrage à la portée du grand public.
Une grande place est consacrée à la suprématie technologique des États-Unis qui, dans ce domaine, devancent nettement le Japon. La Silicon Valley en Californie est ainsi devenue la capitale mondiale du logiciel et Hollywood l’usine planétaire du multimédia. Par leur exceptionnel dynamisme, les informaticiens américains ont créé un immense marché d’innovations qui n’a pas fini de nous surprendre : parmi celles-ci, le réseau Internet dont le nombre d’utilisateurs a progressé de plus de 10 % par mois en 1994 ! Si cette tendance continue, les spécialistes estiment qu’il pourrait y avoir 200 millions d’ordinateurs dans ce fantastique « espace d’échanges » au début du prochain millénaire. Internet est ainsi devenu une « véritable bête » de société qui rassemble non seulement un incroyable mélange d’infrastructures consacrées à la recherche, mais aussi des réseaux privés d’entreprises, des centres d’information en tout genre et des multiples cercles de discussion. Cette nouvelle « mémoire du monde » constitue une source importante de renseignements. Toutefois, son développement un peu anarchique et son utilisation encore mal maîtrisée en font aussi un pôle dangereux de désinformation qui ne manquera pas d’être alimenté par des « éléments incontrôlés », mais fermement résolus à introduire dans les circuits des données inexactes (militaires et économiques) destinées à induire en erreur un concurrent. La mondialisation des échanges et l’âpreté de la guerre économique qui s’annonce sont de nature à faciliter ce genre de malversation.
Le message de Dominique Nora est clair : nous sommes tous concernés par l’arrivée de « l’âge numérique ». Au-delà du phénomène de mode qui met en évidence le multimédia et les autoroutes de l’information, il importe de bien comprendre la portée des mutations actuelles qui marqueront probablement notre société de façon aussi radicale que le firent, en leur temps, l’imprimerie, l’électricité, le téléphone ou la radio. Sur ce chapitre, les analystes sont unanimes : cette révolution de l’information promet d’être, au XXIe siècle, ce que la révolution industrielle fut au XIXe. ♦