Économie de l’apocalypse
« Lorsque le secrétaire général de l’ONU m’a demandé de préparer un rapport sur la prolifération et le trafic nucléaires, je ne m’attendais pas à tirer des conclusions aussi terrifiantes ». Ainsi nous met en garde, comme le titre du livre, sa quatrième de couverture : c’est l’épouvante ! Quant à M. Boutros-Ghali, s’il comptait sur la discrétion de son collaborateur, il eût dû choisir un autre homme que l’auteur des Verbatim. Voici le rapport devenu best-seller.
L’ouvrage est d’abord un état des lieux. Avec la dislocation de l’URSS, « l’ordre de la peur » laisse place à une redoutable pagaille. Le trafic infâme ne cesse de croître, ouvrant la porte à la prolifération. Les armes rudimentaires (dont « l’arme radioactive », dispersant par explosion chimique les matières dangereuses) sont à la portée de beaucoup de malveillants. Vingt pays sont « à la veille de disposer de l’arme nucléaire », cependant que la conjonction de la croissance démographique, du fanatisme et des cartels de la drogue rend l’emploi de la bombe « plus probable que jamais ». Bref, « le scénario du pire est devant nous : dans dix ans l’arme nucléaire et radioactive peut devenir monnaie courante et son usage entrer dans les mœurs de la guerre ».
Sans doute, de ce constat pessimiste retiendra-t-on quelques éléments solides, dont le principal est la difficile gestion des combustibles irradiés, et singulièrement celle du plutonium. Sans doute la diffusion des techniques, dont beaucoup sont duales, est-elle difficile à prévenir. Sans doute le privilège des cinq puissances membres permanents du Conseil de sécurité peut-il paraître abusif à quelques candidats. Cependant, une lecture attentive du texte amène à se rassurer : les conditionnels y abondent ; l’auteur avoue que son analyse du trafic des matières est le résultat d’une enquête personnelle sans certitude acquise et qu’aucun trafic vrai n’a encore été authentifié. La perspective des nouvelles « guerres du feu », révolte nucléaire des pauvres contre les riches ou guerre nucléaire entre pauvres apparaît imagination d’intellectuel désireux d’appâter le lecteur. Enfin, faire du plutonium « l’instrument suprême de la souveraineté » est une affirmation aujourd’hui bien fragile.
Le livre se termine par d’honnêtes propositions, présentées comme « un plan de la dernière chance ». Action policière, réduction et suivi des matières militairement utilisables, contrôle des mouvements d’experts, autorité renforcée du Conseil de sécurité de l’ONU, tout cela est sage, sinon original. Plus intéressant est le très franc appel de Jacques Attali en faveur de l’ingérence et, plus encore, de la discrimination entre les États, la pratique de la démocratie étant le critère de leur droit à l’autonomie. ♦