La France contre l’Amérique
Il est certain que le noble concert de l’indéfectible amitié franco-américaine, joué dans un décor d’images d’Épinal du genre « La Fayette, nous voilà ! » et « Honneur à nos libérateurs », comporte de longue date quelques couacs. La formule de « solidarité discordante », utilisée par l’auteur dès l’introduction, semble particulièrement bien adaptée à la nature des rapports entre Marianne et l’Oncle Sam. Précisons ici en effet qu’il s’agit des relations politiques et diplomatiques, et non des liens divers qui nous font souvent prendre pour référence le mode de vie des citoyens de la grande république nord-américaine.
L’ouvrage est articulé en trois parties dont les deux premières, qui se lisent comme un roman (tout en respectant la rigueur historique qui sied), sont relatives au choc des personnalités qui marqua les deux guerres mondiales. Clemenceau-Wilson, de Gaulle-Roosevelt, le parallélisme est tentant, malgré le changement du cadre géopolitique et l’inversion du rapport des forces. En 1917, le commandement français pratiquerait volontiers l’amalgame en répartissant les boys « bons garçons, mais indisciplinés et brutaux » parmi nos divisions exsangues. Pershing, tout en restant parfaitement loyal, préférerait faire cavalier seul, remporter une victoire finale purement américaine et peut-être rêva-t-il d’être avant Eisenhower un commandant suprême en Europe. On ne peut s’empêcher alors de penser aux efforts de la France libre pour, sans aller jusqu’à de telles prétentions, se tailler peu à peu une place autonome. Aussitôt finie la Grande Guerre, s’affrontent le Français, historien, stratège (la frontière du Rhin) et aussi comptable (les mines de la Sarre) et l’Américain juriste, idéaliste et fasciné un temps par les bolcheviks. Wilson quitte Paris en boudant le repas d’adieu. En 1945, la France serait bien en peine d’inviter à dîner, mais les positions rappellent celles de la période précédente. Roosevelt constate l’effacement de la France et de Gaulle ne croit guère à l’ONU. Pour lui, « l’ordre international n’a rien à voir avec le juste et appartient au tragique ».
Par la suite, un certain antiaméricanisme s’installe à demeure en France. Notre auteur va, après Duroselle, jusqu’à en dénombrer quatre types. On connaît les principaux jalons de l’action dans ce sens du premier président de la Ve République, culminant en 1966 avec la « leçon de décolonisation » de Phnom-Penh et le retrait de l’Otan. La dernière partie du livre n’est pas tout à fait du même pied que les précédentes. La position française vis-à-vis de l’Alliance y est étudiée en détail et d’un œil plutôt favorable. L’auteur présente habilement, en appelant Poirier à la rescousse, la genèse de la force nucléaire française.
Plus ou moins méprisée par Roosevelt après 1940, englobée par Kennedy dans l’ensemble européen comme une simple province, choquée par l’annonce de l’Initiative de défense stratégique (IDS), spectatrice dans la bataille des euromossiles, auxiliaire dans la guerre du Golfe, la France a-t-elle encore droit à la parole face à l’Amérique ? Catherine Durandin ne pose pas la question, celle-ci est sous-jacente. Le temps n’est plus où Pershing venait se présenter au Tigre et à Foch en se mettant à leur disposition avec dans les yeux « une flamme de sympathie et de dévouement »…
Il est vrai que l’époque n’est pas aux certitudes. C’est sans doute pour cela que la conclusion nous a paru moins convaincante que l’ensemble du propos. Ce livre de lecture facile présente de façon vivante un sujet qui ne peut laisser aucun Français indifférent. ♦