Guerre des armes, guerre des hommes
Ingénieur de l’École polytechnique, parachutiste chevronné, écrivain éclectique, l’auteur a tout pour plaire et la contemplation d’une physionomie avenante au dos de la couverture ne peut que confirmer cet a priori favorable.
On éprouve effectivement un rare plaisir à se plonger dans ces pages pétillantes, pleines d’esprit et de vivacité, où Défourneaux exprime ses convictions sans ambages. Le thème général est clair : la technique ne peut pas tout dans le domaine militaire, l’homme reste indispensable, avec son cerveau et son courage. « Face aux Goliaths mécaniques, il faut toujours un David pour tenir le lance-missiles » ; « être de plus en plus performant vers le haut n’empêche pas de rester aussi vulnérable par le bas », ainsi que le prouve l’histoire de cet homme qui « détenait le bouton rouge de la force nucléaire la plus puissante du monde » et qui fut « tué à Dallas de deux balles de carabine ». Derrière les munitions intelligentes et les frappes chirurgicales, les êtres de chair et de sang sont indispensables ; et les terriens de se sentir soulagés par une réhabilitation vigoureuse du combat sur le plancher des vaches et par l’appel à reconsidérer l’« échelle du prestige ».
Sur ce fil directeur, chercher ici un déroulement absolument rigoureux est toutefois difficile, même si les transitions sont habiles. Le compositeur ne déteste pas les variations sur ses airs favoris. Aussi nous permettrons-nous un conseil : celui de consommer avec modération, comme le Pastis 51, trois ou quatre de ces courts chapitres à la fois : agrément garanti, réflexion sollicitée, adhésion probable. Au-delà, le tournis vous prend, attendez le lendemain et ne prétendez pas y consacrer moins d’une semaine.
Loin d’un simple pamphlet malgré certaines apparences, l’ouvrage est en bonne partie à vocation pédagogique. L’auteur y aborde nombre de sujets pointus dans les domaines stratégique, technique et budgétaire, de la prolifération nucléaire à la dérive des coûts et de la simulation aux technologies « duales ». On peut même affirmer que sont évoquées aussi bien les notions à valeur permanente que, de proche en proche, la totalité des grands problèmes de l’heure touchant la défense. Le propos est assorti, à l’occasion, du rappel de rudes vérités. L’humour, présent partout, éclate dans la description du commando à la mode Hollywood comme dans l’énumération des tenues de l’Armée de terre ou encore dans ce mélange qu’offre la conscription à la française entre « mâles tout venant et femelles sélectionnées ». Cet humour vire au noir bien des fois, par exemple dans le chapitre consacré à la coopération internationale, et voisine avec la réflexion originale, comme dans cette constatation livrée en conclusion selon laquelle le progrès technologique favorise finalement le faible au détriment du fort. Parmi mille trouvailles, dans le raisonnement et dans le vocabulaire, les formules percutantes pullulent. Certaines d’entre elles ont déjà été entendues ici où là, mais le pur « Défourneaux » abonde et fait plus d’une fois sourire ou grincer au détour d’une page. Il reste tout de même un point d’histoire à vérifier : la formation de Giap à Saint-Cyr (page 272).
En conclusion, l’alliance du bon sens et de la culture sous la plume alerte d’un authentique adepte de « la tête et les jambes », bien placé en raison des fonctions occupées pour porter un jugement d’ensemble et capable en outre de parler plaisamment de choses sérieuses, aboutit à une réussite. Malheureusement, une fois de plus, il y a gros à parier que ce livre convaincant sera surtout lu par un public qui n’a pas besoin d’être convaincu. ♦