La simulation des essais nucléaires
L’intervention télévisée du 10 mai 1994 a mis en relief, s’il en était besoin, le désaccord fondamental existant entre le président de la République et le Premier ministre au sujet du moratoire sur les essais nucléaires, décidé par M. Mitterrand et annoncé par M. Bérégovoy le 8 avril 1992, puis prorogé depuis lors. Le chef de l’État a assuré, à cette occasion, que « tant qu’il occuperait ses fonctions, il n’y aurait pas de nouveaux essais » et, prenant un pari sur l’avenir, s’est dit persuadé qu’« après lui, on ne le ferait pas, parce que la France ne voudra pas offenser le monde entier en relançant le surarmement nucléaire ». Il a invoqué implicitement à l’appui de son affirmation les grandes échéances diplomatiques que sont la révision du Traité de non-prolifération (TNP) et la conclusion d’un traité d’interdiction permanent des essais nucléaires (Comprehensive Test Ban Treaty) envisagé peu après. Prononçant quelques jours plus tard une conférence en clôture de la 46e session de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). M. Balladur n’a pas exclu une « reprise éventuelle des essais nucléaires en fonction de la situation internationale et du comportement des autres puissances nucléaires », en soulignant que la « France n’avait jamais accepté de lier la suspension de ses essais à la négociation » du traité d’interdiction complète des essais nucléaires.
Dans ce contexte, le rapport présenté par M. René Galy-Dejean, consécutif à la mission d’information sur la simulation des essais nucléaires créée le 28 octobre 1993 par la Commission de la défense de l’Assemblée nationale à la suite de l’essai chinois du 5 octobre 1993, conserve toute son actualité. Il constitue un excellent document, particulièrement bien argumenté et susceptible par l’ampleur et la qualité de ses informations d’enrichir le débat actuel. L’objectif de cette mission était d’éclairer l’ensemble des parlementaires sur une question bien précise, les jugements exprimés à cet égard étant alors, pour le moins, contradictoires : l’état d’avancement de nos connaissances scientifiques et techniques d’une part, l’équipement de nos laboratoires d’autre part, en d’autres termes la mise en œuvre d’un système de simulation connu sous le nom de Palen (Préparation à la limitation des essais nucléaires) plaçaient-ils la France en situation de se passer désormais d’essais nucléaires ?
Adoptant une démarche scientifique et objective, la mission d’information a procédé à l’audition des plus hautes autorités scientifiques et militaires françaises compétentes en la matière. Elle a également pu prendre connaissance de l’essentiel des documents publiés récemment aux États-Unis : communications d’experts devant les commissions compétentes du Congrès, comptes rendus de travaux scientifiques, articles de revues spécialisées. La première conclusion majeure, dégagée d’un chapitre qui leur est entièrement consacré, est que les États-Unis maîtrisent aujourd’hui l’essentiel des techniques de simulation des essais nucléaires. La problématique française est analysée dans un chapitre central du rapport. Contrairement à ce qui est souvent dit, avance le rapporteur, « les essais nucléaires ne servent pas uniquement à vérifier en fin de course qu’une arme est bien conforme aux prévisions. Ils sont nécessaires à tous les stades de la conception et de la réalisation d’une arme, mais aussi au cours de la vie de cette arme. C’est ainsi que vingt-deux tirs ont été effectués pour mettre au point le TN75 destiné à équiper le missile M45, dont vont être dotés les Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de nouvelle génération, en cours de réalisation ».
Le dernier chapitre du rapport est entièrement consacré au programme Palen, dans ses objectifs, ses limites et son développement (moyens de calculs, de radiographie, moyens laser), avant de conclure sur les essais nucléaires liés à ce programme ambitieux. Les objectifs ultimes de Palen sont d’une part la vérification de la qualité et de la sécurité des armes en service, d’autre part le renouvellement et l’évolution des charges nucléaires de la force de dissuasion, sans essai nucléaire d’énergie significative. Sa démarche est fondée sur la simulation numérique, recalée par l’expérience, de façon itérative, l’étape ultime étant de rendre inutile ce recalage. Les moyens nécessaires à Palen ne sont pour la plupart qu’au stade des études, voire des pré-études, notamment pour ce qui est des moyens informatiques et des futurs lasers de puissance, la livraison des différents éléments intervenant entre 1998 et 2002. Dans ces conditions, si ces essais sont « indispensables », comme nous le dit M. Galy-Dejean, il n’est pas certain qu’une reprise rapide des tirs soit nécessaire. « Il est au contraire vraisemblable qu’ils seront réellement utiles après 1995 ».
En conclusion générale, la mission considère que l’ensemble des informations recueillies et accumulées dans le présent rapport montre d’une façon « irréfragable » que la France doit disposer d’essais nucléaires. La question qui est posée aux responsables politiques porte sur les délais : « Le renouvellement du traité de non-prolifération en 1995, accompagné des pressions diplomatiques multiples qui ne manqueront pas de s’exercer sur nous, en particulier avec l’ouverture à Genève dès 1994 des négociations sur l’arrêt total des essais, risque de nous contraindre à perpétuer le moratoire au-delà de 1995. Dans ce cas, la mission se doit de dire, avec la plus grande force, que sans essais nouveaux la France n’est pas assurée de pouvoir se doter d’un système de simulation lui garantissant absolument qu’elle restera maîtresse de ses armes et donc assurée de sa sécurité et de son indépendance ». Rappelons que le projet de loi de programmation militaire a prévu d’attribuer 23 % des crédits affectés à la dissuasion nucléaire, à la préparation de l’avenir avec un effort particulier sur les moyens de simulation. ♦