L’homme et la création
Au prix de quelques acrobaties et amalgames, et se croyant sans doute sur le pont du Beagle, un chroniqueur de cette revue a réussi (dans le numéro de juillet) à trouver dans les réorganisations de l’état-major de la Marine les motifs d’un éloge du darwinisme. Alors que nous méditions sur des questions fondamentales du genre « Oui suis-je ? D’où viens-je ? », voilà que nous sommes tombés sur un tenant de la thèse inverse en dénichant ce petit livre paru il y a déjà deux ans.
Dans un premier temps, l’auteur met en pièces la théorie du pauvre Charles auquel il reconnaît d’ailleurs bien des mérites et une parfaite honnêteté. Rien selon lui n’est venu prouver la validité de cette construction relevant du « romantisme scientifique » propre à l’époque de sa conception et qui associe des notions contradictoires, puisque la sélection, acte volontaire, ne saurait être naturelle ; « deux mots indûment assemblés ne font pas une vérité ». Les algues bleues, classées premier support de la vie, n’ont pas bougé d’un pouce depuis la nuit des temps. Si nous venons du perfectionnement de la gent simiesque, comment se fait-il qu’il existe encore des singes et, si plusieurs branches ont divergé, où sont passées les traces de l’ancêtre commun ? Mais il y a plus grave : les biologistes commencent à se demander si l’homme, maladroit entre tous, ne serait pas apparu avant le quadrumane plus performant. On frémit devant ce renversement de nos convictions les plus fermement ancrées, mais la conclusion s’impose alors pour les fervents de l’évolutionnisme : et si le gorille représentait une forme améliorée de la race humaine ?
Après avoir démoli, il faut reconstruire. Pour Morgaut, qui n’hésite pas devant les analogies puisées dans le monde du travail, la création est continue. Dieu ne s’est pas mis en congé définitif après ses 40 heures. Il faut entretenir l’existant, lubrifier les rouages ; puis innover, faire jouer la recherche-développement plutôt qu’un « hasard incapable de produire de l’ordre », tout en restant engagé par l’œuvre initiale, imparfaite puisque les créatures d’élite ont fauté. Le Père n’est pas un vieillard barbu en retraite, mais un artisan soucieux de retouches.
Avouons que deux autres chapitres, bien qu’émaillés de remarques pleines de bon sens sur le comportement de l’individu et sur la vie en société, nous ont paru rompre le rythme, avant une postface qui contredit quelque peu l’argumentation précédente. Après avoir été conduits sur la voie du concret et initiés à l’image d’un Créateur en salopette burette à la main, nous voici en effet appelés à l’affectivité et à la religion d’un Dieu d’amour. À Jean Guitton pratiquant « l’ascension par la face intellectuelle », Morgaut oppose la révélation ineffable vécue par André Frossard.
L’auteur est homme d’expérience : depuis 60 ans, il a écrit sur des sujets aussi divers que l’Afrique, les chambres de métiers et la psychologie des adolescents. Il réussit ici, quitte à recourir à la caricature, à intéresser son lecteur par la présentation enjouée et vigoureuse d’un sujet qui préoccupe de longue date nos semblables ; ainsi (si nous pouvons nous permettre de rappeler cet épisode peu connu et dont l’authenticité ne fait guère de doute) ce jeune appelé désireux d’en savoir plus et qui, s’adressant à son chef de section, lui demanda s’il est vrai que l’homme descend du singe ; l’adjudant, qui n’avait pas lu Morgaut, eut cette réponse nuancée : « L’homme peut-être, le gradé sûrement pas ». ♦