Indochine 1940-1955 – La fin d’un rêve
Le rêve en 1945 avait commencé des deux côtés : pour le général de Gaulle, la capitulation du Japon allait permettre à la France de « libérer » l’Indochine des vichystes ; pour Ho Chi Minh, le communisme allait « libérer » les anciens pays d’Indochine, à commencer par le Vietnam, du joug colonialiste et de l’impérialisme des Occidentaux.
Pour la France, le rêve s’est écroulé très vite, car le pouvoir, ne sachant quelle politique proposer à l’Indochine, n’a su quoi demander à son armée et ce sont les malheurs de cette armée abandonnée qui ont fini par imposer une politique aux gouvernements du moment.
L’auteur, avec la finesse et la lucidité propres aux diplomates, apporte, outre sa longue et parfaite connaissance de l’Asie, son extraordinaire capacité de synthèse pour le dépouillement d’archives désormais ouvertes qui, jointes à son propre témoignage, donnent un éclairage tout à fait nouveau d’une guerre où l’armée française a perdu ses plus belles unités, la France son plus beau joyau et toutes deux leurs illusions.
Que pouvait-on reprocher à l’amiral Decoux, sinon d’avoir réussi le tour de force de maintenir pendant cinq ans de guerre mondiale la souveraineté française en Indochine malgré la pression de plus en plus forte du Japon ? Que dire du « coup de force » japonais auquel le bellicisme du moment et la fausse menace d’un débarquement allié en Indochine ne sont pas totalement étrangers ? Il est certain en tout cas qu’il aura permis d’« installer » Ho Chi Minh. Que penser enfin de nos hommes politiques métropolitains, joignant à la méconnaissance totale des problèmes de l’Asie du Sud-Est, un ostracisme envers les Français d’Indochine et de terribles erreurs de jugement telles que de considérer l’agent communiste extrémiste Ho Chi Minh comme un simple nationaliste.
Le retour de l’autorité française en Indochine s’est ainsi effectué sur des malentendus politiques (conférences de Dalat et de Fontainebleau), et le maintien de cette autorité s’est appuyée sur des tâtonnements tactiques militaires que les changements de commandant en chef ne pouvaient redresser. Les déconvenues sociales, politiques, diplomatiques se sont succédé, les massacres ont conduit à la guerre et la guerre à une pression militaire où les insuccès ont pris le pas sur la politique tant locale que métropolitaine.
La venue du général de Lattre verra enfin la conjonction d’une vue politique plus lointaine, que l’empereur Bao Dai aurait pu prolonger, avec une réorganisation militaire volontariste. Si son passage en Indochine n’a été qu’une courte éclaircie, le grand succès du général aura consisté à faire comprendre aux Américains, très hostiles aux Français, que ce conflit n’était pas le dernier feu d’une guerre coloniale mais bien plutôt notre participation à la lutte anticommuniste du monde libre, menée notamment par les États-Unis en Corée.
C’est ainsi que l’attitude américaine a profondément changé l’année suivante vis-à-vis de la France en Asie, et c’est un des grands mérites de l’auteur que de nous le faire découvrir. L’une des craintes des États-Unis et de la Grande-Bretagne, lors des accords de Genève en 1954, était de voir la France, marquée par la défaite de Diên Bien Phu et préoccupée par l’agitation en Algérie, abandonner au Vietminh l’ensemble du Vietnam.
Face aux ambitions de Ho Chi Minh sur le Sud-Vietnam et sa conception très particulière d’élections libres, M. de Folin, alors consul général de France à Saïgon et peu suspect d’excès d’américanophilie, se borne à constater que les États-Unis ont dû se résoudre à assumer la succession de la France. Ce point de vue d’un diplomate professionnel est particulièrement intéressant, et on peut penser que les pays d’Asie du Sud-Est doivent à la France et aux États-Unis d’avoir échappé, par leurs interventions, à la théorie marxiste inexorable des « dominos ».
En tout cas, merci à M. de Folin d’avoir remis tant de choses, tant de faits et tant de personnages à la place qui leur revient. Merci de nous expliquer avec tant de talent, de lucidité, mais aussi tant de précision, la fin du règne français en Indochine que ni ses habitants ni les Français eux-mêmes ne peuvent se résoudre à oublier. ♦