L’Afghanistan en guerre-La fin du grand jeu soviétique
Pourquoi donc, dans son jeu politico-stratégique, d’avoir un jour poussé le pion « Afghanistan », l’empire soviétique ne s’en est jamais remis ? Pourquoi ce pion isolé, en ébullition permanente, marginal, ayant choisi le camp russe d’abord puis socialiste par haine de l’Angleterre, dirigé à l’instigation de l’URSS par la fraction modérée du Parti communiste local, pourquoi est-il envahi un jour de Noël 1979 par l’armée soviétique ? Était-ce pour s’ouvrir une voie vers les mers chaudes et le pétrole du Proche-Orient ou pour profiter du reflux américain en Asie, Vietnam et Iran ? N’était-ce pas plutôt pour endiguer la poussée islamiste que l’URSS prenait très au sérieux ? Les craintes soviétiques n’étaient peut-être pas vaines, car l’islam a bien constitué le lien entre les diverses factions de la résistance afghane.
L’auteur montre combien cette invasion, qui a secoué si violemment les relations Est-Ouest, n’a été, somme toute, qu’un petit conflit sur le plan militaire, réduit par les forces engagées, moins de 7 % de l’armée de terre d’URSS, sommaire par les objectifs fixés : soviétiser le Nord, exterminer l’Est, annexer l’Ouest en y installant des bases. C’est également un petit conflit au plan géopolitique puisque, après le retrait russe, les Afghans sont retournés à leurs démons guerriers favoris où la prise de Kaboul n’est qu’un épisode, mais où les enjeux se situent maintenant tout juste à un niveau de puissances régionales. Pourtant cet affrontement aux marches de l’empire a eu pour ce dernier d’immenses conséquences. Sur place, la fermeté des résistances afghanes a surpris le haut commandement et les troupes soviétiques au-delà des difficultés du climat et du terrain ; par la suite l’armement antiaérien fourni par les États-Unis a permis d’annuler la supériorité aérienne russe et de mettre ainsi fin à l’infaillibilité de l’Armée rouge. L’échec technique, doublant l’échec psychologique, a troublé cette dernière, puis la société militaire tout entière jusqu’à provoquer un « syndrome vietnamien » dans la société russe, comme en témoigne le poème des « cercueils de zinc ». Le régime soviétique ébranlé dans ses fondements n’a plus foi en son pilier militaire, et harcelé par une opinion internationale dont la réprobation est croissante il doit se résoudre à l’évacuation sans avoir atteint aucun des objectifs fixés. C’est la « perte de face » devant le monde libre, c’est aussi la perte de confiance dans le système politique. Si des fissures se produisent au sein du régime, des craquements se font aussi entendre dans la Fédération où les républiques asiatiques prêtent une oreille attentive aux sirènes de l’islamisme, dont les premiers indices étaient apparus avec des désertions massives chez les soldats musulmans du corps expéditionnaire soviétique. C’est probablement le vrai danger que subodorait le Politburo et que ni lui ni ses successeurs ne sont parvenus à maîtriser.
M. Bachelier a su décrire dans un style alerte et frais un conflit qui a paru embraser le monde et qui, en tout cas, a permis d’abattre deux mythes : celui de la superpuissance militaire soviétique et celui de l’efficacité de la politique armée vis-à-vis des « pays frères ». On peut seulement se prendre à regretter de n’avoir pas plus de détails et d’images sur les forces en présence (effectifs, armements) et sur le bilan de cette guerre. Enfin il faut noter que, dans ce genre de conflit, lorsque les grands tuteurs décident de s’en désintéresser, c’est un retour immédiat aux luttes tribales qui ont un mérite, celui de distraire les antagonistes sous l’œil bienveillant des puissances régionales voisines, sans troubler le concert des nations civilisées. L’Afghanistan n’est au fond ni une « marche de l’empire soviétique » ni un État tampon comme s’interroge l’auteur, mais redevient seulement le pays des Cavaliers. ♦