Histoire du Maroc
Ce livre fortement documenté et très dense (malgré une présentation aérée) enseigne au lecteur bien des points oubliés ou ignorés d’une histoire « souvent glorieuse et parfois mouvementée ». Après les comptoirs carthaginois, le pays n’a pas connu l’équivalent de la civilisation gallo-romaine chez nous et a été « rapidement islamisé, mais tardivement arabisé ». Le récit de la succession rapide des dynasties et des règnes est mené tambour battant, au point d’être quelquefois difficile à suivre, mais les grandes tendances apparaissent clairement : l’autonomie ancienne du royaume, appuyée sur une base religieuse solide et sur des frontières naturelles ; l’affrontement séculaire en Espagne, depuis les cavalcades au pied des Pyrénées et les « raffinements de la culture andalouse » jusqu’au tournant de Las Navas de Tolosa et au lent reflux de la Reconquista ; le grignotage européen entamé par les Portugais dès le XVe siècle et entériné 500 ans plus tard à Algésiras, et en particulier la pression française depuis l’Algérie, compensée par la personnalité lumineuse de Lyautey qui comprend la présence d’« une authentique nation » ; enfin la « libération nationale » obtenue par « la totale détermination et le grand sens politique » de Mohammed V, le renouveau contemporain et « la réussite spectaculaire » des trente dernières années.
Ici l’ouvrage prend une autre dimension, qui est celle d’une apologie des Alaouites, du règne de Hassan II et du Maroc moderne. Les massacres de 1956 à Meknès, l’attentat de Skrirat (10 juillet 1971), l’affaire Oufkir [NDLR 2020 : général et ministre de la Défense organisateur d’une tentative de coup d’État le 16 août 1972, suicidé après l’échec] sont rapidement expédiés. Des statistiques économiques flatteuses, la description des institutions démocratiques, la comparaison du Maroc (selon le souverain lui-même) avec « un arbre dont les racines nourricières plongent profondément dans la terre d’Afrique, et qui respire grâce à son feuillage bruissant aux vents de l’Europe », forment un tableau souriant, autorisant des vues d’avenir optimistes, et contrastent avec la sévérité de l’auteur pour « les milieux coloniaux français » peuplés « de jacobins et militants laïcs » et pour la brutalité de Juin et de Guillaume. En outre, un chapitre entier, complété par des annexes fort explicites, vient démontrer la « marocanité » du Sahara occidental et le bon droit de Rabat face à une question sahraouie « créée de toutes pièces » par une Algérie « ruinée et instable ».
Une prise de position aussi nette pourrait surprendre ceux qui ne connaissent Bernard Lugan que par la vigueur parfois pamphlétaire de son style et surtout par ses positions sur la colonisation (et la décolonisation !). La conclusion, dans sa brièveté, lève le voile : si « le sous-développement n’est une fatalité que pour ceux qui veulent bien accepter de le subir », la recette marocaine est toutefois difficilement transposable, car, « nation africaine, le Maroc est en même temps le contraire de l’Afrique. Le pari de modernisme n’y a été gagné que parce que les assises nationales sont millénaires… N’est-ce pas ce qui a si bien réussi au Japon ? »
À l’opposé d’« auteurs d’ouvrages polémiques publiés ces dernières années en France, qui se sont enfermés dans une approche totalement européo-centriste des institutions marocaines, démarche qui a eu pour principal résultat de mutiler le passé de ce pays en falsifiant sa réalité sociale et politique », Lugan vante les mérites d’un beau pays qu’il connaît bien et de son ami le roi. À considérer les conséquences de l’action de ceux qui vilipendèrent naguère le Shah d’Iran, l’orientation adoptée ici semble judicieuse autant que justifiée. ♦