Sahara, un homme sans Occident
Tous les amoureux du désert, et ils sont nombreux en ces temps de Tour Operators et de Paris-Dakar, se réjouiront de la réédition (la seconde) de ce beau roman que clôt l’émouvante apostille : Adrar, 1930. Ce n’est pas de celui du Touat dont il s’agit, ni de celui des Iforas, mais de l’austère plateau de roches noires qui est au centre de la Mauritanie, et l’imprécision du lieu témoigne de la vie nomade qu’y menait l’auteur, méhariste de la haute époque. On connaît la riche personnalité du général Brosset, officier fort en avance sur son temps. Dans Portrait d’une amitié, court essai qui précède le roman, Vercors le fait joliment revivre.
Diego Brosset réussit la gageure de nous faire voir les Maures et leur désert par les yeux et la tête d’un authentique nomade, Sidahmed le bossu. C’est ce que suggère l’excellent titre de l’édition précédente, que l’éditeur nouveau eût mieux fait de conserver intact : Un homme sans l’Occident. On suivra Sidahmed, noble guerrier en rupture de ban, chez les Nemadi qui traquent au chien les lourdes antilopes des solitudes sableuses, puis chez les Reguibat Gouacem qui, sortis de leur Nord lointain, accablent de leurs razzias les riches savanes du Sud, en Adrar enfin où, vieilli, estropié, recru d’humiliations et de condescendance, l’indomptable rebelle devra reconnaître, la mort dans l’âme, l’étrange et scandaleuse puissance des Français.
Roman ethnographique – il abonde en notations d’une grande finesse sur les mœurs des Maures –, historique – une annexe rappelle les faits dont l’auteur s’est inspiré –, ce livre est de noble style. Il fut le bréviaire des méharistes des groupes nomades. Dans les étés torrides des mauvaises années, ils évoquaient entre eux la vieille esclave qui, « seule dans l’espace inhumain », dispute aux fourmis les graines amassées par les prévoyants insectes. Chante encore, dans la mémoire de ceux qui restent, la première phrase du livre, en son inquiétante concision : « Il faut tuer la chamelle ». ♦