La rayonnement intellectuel et les amitiés étrangères
Nous, qui voudrions inspirer à la France une conscience plus vive de ses devoirs et de ses vertus ; qui voudrions, dans cette Revue, nous rendre un compte plus exact des énergies qui contribuent à la défendre : gardons-nous d’oublier les valeurs de l’esprit. Demandons-nous d’abord dans quelle mesure le rayonnement intellectuel d’un pays contribue à l’affirmation de son être ; en second lieu, examinons l’état du nôtre à cet égard ; et cherchons à voir, enfin, les conditions qu’il doit remplir pour se montrer digne d’un passé qui fut sans égal.
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L’honneur de posséder des maîtres dont le génie a pris un tel essor qu’il ne s’est pas arrêté aux frontières, mais a gagné de proche en proche les contrées les plus lointaines, comporte au moins deux effets. Il donne, plus encore qu’une fierté, une sécurité à ceux qui ont su s’en rendre dignes. Ceux-ci savent, en effet, qu’ils ont bien tenu leur place dans le grand combat qui ne cesse jamais de se livrer sur la terre entre l’effort de la barbarie et celui de la civilisation ; qu’ils ont défendu, en créant plus de vérité et plus de beauté, les principes sans lesquels l’humanité ne pourrait plus vivre et mériterait de périr ; et donc, que la nation dont ils forment une part indissoluble a conquis son droit à la durée, par le caractère de bienfaisance qui s’attache à son action. Un peuple qui fait son examen de conscience, qui considère l’œuvre accomplie au cours des siècles par ses savants et par ses artistes, qui entend le témoignage des autres peuples à leur sujet, s’assure de sa propre valeur ; sans lui, quelque chose manquerait au monde. L’histoire nous apprend que ce sentiment est si vivace et si justement fondé qu’il a pu mener aux grandes résurrections. L’Italie du xviiie siècle, morcelée, divisée en dominations qui n’avaient entre elles aucun vouloir commun, n’avait pas d’espoir, semble-t-il, de revenir un jour à l’unité qu’elle avait depuis si longtemps perdue. Cependant elle était travaillée par une volonté obscure dont le premier symbole était la constatation répétée de sa propre décadence, et qui s’exprimait quelquefois par la voix de ses poètes. Ses poètes, les maîtres étrangers les laissaient parler à leur aise lorsqu’ils ne s’occupaient pas directement de politique : ils n’étaient pas considérés comme des gens dangereux. Or que disaient-ils ? Que l’Italie de la Renaissance avait éclairé l’Europe entière par la vertu de son génie. Qu’un Dante, qu’un Pétrarque, qu’un Boccace avaient formé le modèle de l’homme nouveau, et que, plus tard, un Michel-Ange, un Léonard de Vinci avaient mérité une reconnaissance et une admiration universelles. Qu’il n’était pas une nation au monde, pas une, qui n’eut contracté une dette envers l’Italie. Que l’Italie, dès lors, avait le droit de compter parmi les nations… Ainsi, c’est en invoquant son primat intellectuel et la force reconnue de son rayonnement, que l’Italie du xviiie siècle, en apparence morte, a préparé son Risorgimento.
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