Chronique du Liban rebelle
Reporter dans un grand hebdomadaire, Daniel Rondeau débarque à Jounieh en janvier 1988, dans un Liban ravagé par la guerre. « Enthousiaste de la révolution », et engagé dans les révoltes de 1968, il a toujours pris le parti des opprimés : les Palestiniens à l’origine de leur lutte, les Polonais de Solidarnosc. Il découvre au Liban un peuple – chrétiens et musulmans confondus – soumis aux exactions des seigneurs de la guerre (les milices), à l’occupation étrangère et à la présence pesante des Palestiniens. Il est alors conquis par la personnalité du général Aoun, dont il suit avec passion le combat pour la libération et les efforts de rassemblement de toutes les communautés. Notre chroniqueur s’efforce de mobiliser des personnalités françaises contre les accords de Taëf et pour le soutien de l’indépendance nationale, et apprend avec désespoir, le 13 octobre 1990, la reddition de la résistance libanaise, obtenue avec l’active complicité des Américains et des Israéliens.
Ce récit historique est l’occasion pour son auteur de rappeler, ou de révéler, des faits oubliés ou ignorés : les responsabilités syriennes dans les assassinats (Kamal Joumblat, l’ambassadeur Delamare, Richard Gimpel, le colonel Gouttière et le lieutenant Meurand, les 88 parachutistes du Drakkar et les gendarmes de l’ambassade, les 241 Marines américains) ; le fait que ce ne sont pas les chrétiens qui ont fait appel à la Syrie ; la coopération d’Aoun avec le ministre Selim Hoss à la fin de 1988 ; les députés corrompus, et le président actuel [Elias Hraoui], « petit trafiquant de drogue » ; les Syriens avertis du raid de Baalbek par l’entourage d’un ministre français ; le sac du palais de Baabda et l’exécution des prisonniers par les soldats syriens.
Sur les pas de Renan et de Barrés, l’écrivain pénètre à l’intérieur de l’âme libanaise et révèle son talent dans la description des choses vues et des gens rencontrés. Imagées sont les scènes de rue où Daniel Rondeau observe la fraternisation des musulmans et des maronites. Émouvants ses dialogues avec des Libanais de toutes conditions : le gardien des ruines de Byblos, les jésuites de l’université et les moines maronites, les survivants des familles Chamoun et Gemayel, le médecin du village de Douar. Tous témoignent de la vitalité du songe libanais : constituer une terre de dialogue entre l’islam et la chrétienté.
Chroniqueur attentif, écrivain de qualité, Daniel Rondeau est aussi un témoin engagé. Son livre s’achève dans la colère et la honte, il condamne la politique arabe de la France, qui réserve ses faveurs aux États terroristes plutôt qu’à nos vrais amis. Inconvenante lui apparaît la rencontre de Damas de novembre 1984, lorsqu’est reconnu « le rôle positif de la Syrie au Liban ». L’auteur se réfère à la position courageuse du cardinal Lustiger : « Il était du devoir de l’Occident, de la France en particulier, de sauver les Libanais de leurs contradictions internes… Nous les avons trompés en les abandonnant à eux-mêmes… Va-t-on reprocher à l’homme qui se noie de vouloir continuer à respirer sous l’eau ?… J’ai honte de penser que nous avons participé à cette défaite d’un pays qui nous est cher ».
La figure du général Aoun sort grandie de cette évocation. « Démocrate en battledress », selon le mot de notre ambassadeur, il exprime avec simplicité et humanité la volonté de libération de tous les Libanais. Le soir de sa reddition, il émeut tous les membres de l’ambassade lorsqu’il se met à réciter : « Les hommes naissent libres et égaux en droit » ; et : « La renaissance du Liban passe par la croix », affirme-t-il. Sa défaite est pour Daniel Rondeau « une défaite pour la liberté, la diversité et l’intelligence du monde arabe ». Le Liban peut mourir. Il peut aussi renaître et ouvrir aux peuples du Levant le chemin de la démocratie et du progrès. ♦