Critique de la stratégie
L’époustouflante érudition de Jean-Paul Charnay et la rigueur de sa pensée feraient hésiter le chroniqueur s’il n’était encouragé dans sa tâche par l’humilité toute scientifique de l’auteur, livrant en conclusion ses « doutes ultimes ».
La stratégie est observée par trois personnages en pyramide : le stratège a le nez par terre et fabrique de la stratégie ; le stratégiste, de son haut, regarde faire le stratège ; Jean-Paul Charnay, au sommet, observe le stratégiste. Mais l’objet stratégique est si fluide qu’il coule entre les doigts des uns et des autres. Le livre est l’inventaire des déceptions qui en résultent : sur le domaine de la stratégie, dont l’extension moderne aboutit à des « définitions fades » fort peu opérationnelles ; sur la rationalité stratégique, dont l’impossible perfection serait la fin de l’histoire ; sur la quête d’une stratégie universelle, passionnément et vainement poursuivie par Paul Valéry.
Mais ces déceptions successives réjouissent l’homme d’action. « L’analyse des raisons d’agir, écrit Jean-Paul Charnay, dissout la raison d’agir ». Voici le stratège conforté dans son devoir d’indifférence et rassuré sur la pérennité de son art, dont la visée modeste est « d’apprivoiser le hasard ». ♦