Les vraies guerres, le monde en guerre depuis 1945
Une analyse audacieuse du nouveau monde de la guerre, une large documentation qui puise à de nombreuses sources américaines, un style éclatant où, lorsque l’auteur s’emporte, percent des accents gaulliens, voilà ce que cet excellent livre nous offre. Mais de quoi s’agit-il ? L’Union soviétique (URSS) aux abois, de tourner nos regards au Sud, où la vraie guerre va son train alors qu’au Nord elle n’est, depuis Hiroshima, qu’imagination dissuasive. Dans le désordre méridional, cependant, mûrissent de nouvelles menaces, qui nous concernent et pour l’évolution desquelles l’issue de la crise du Golfe (NDLR : ici, la seconde guerre du Golfe de 1990-1991 qui opposa l’Irak de Saddam Hussein à une coalition internationale) sera de première importance.
Pour « vraies » qu’elles soient, les guerres du Tiers-Monde ne sont pas franches. Il ne s’agit plus de batailles à l’ancienne : « la guerre n’est plus ce qu’elle était… il est difficile de la gagner » et « dommageable d’être l’agresseur ». C’est le temps des guerres limitées où « la victoire peut être encombrante » (c’est exactement ce qu’a dit le général Schwarzkopf, parlant de l’Irak, propos au demeurant étonnant dans la bouche d’un commandant en chef) et où « l’action armée est devenue une part de la diplomatie ». La guerre, ne s’exerçant plus que dans des limites étroites, perd sa vertu décisive : « la guerre limitée ne peut donner que des leçons restreintes ». L’auteur, qui dédie son livre à Louis Delamare, sait de quoi il parle ; il fut attaché militaire à Beyrouth de 1979 à 1982 et a commandé le bataillon de la Finul.
Dans ces combats douteux, les Grands faisaient ce qu’ils pouvaient, qui fut très mauvais au Vietnam et guère meilleur en Afghanistan. Mieux vaut agir par « forces déléguées », Cubains pour l’URSS ou résistants afghans pour les États-Unis. L’engagement direct des puissants est toujours délicat, surtout s’ils sont démocrates, et l’auteur rappelle, avec une précision cruelle, les lamentables expériences de la Grenade et de « Desert One » en Iran. La France s’y entendrait mieux, sauf à Beyrouth où l’attentat du Drakkar a sanctionné, selon Jean-Louis Dufour, quelques légèretés. Mais en Afrique, et surtout au Tchad, ses méthodes furent exemplaires, comme le choix de ses moyens. Troupes de marine, Légion et parachutistes attirent les meilleurs hommes, puisque ce sont ces unités-là qui marchent au canon ; il faut en tirer les bonnes leçons et faire taire les jaloux.
Voyant plus large, l’auteur préconise une vigoureuse ré-articulation de nos forces, lesquelles devraient faire face au possible chaos eurasiatique comme aux guerres limitées du Tiers-Monde ; le double emploi est possible. On se gardera de toucher à la marine, mais on réduira nos prétentions aéronautiques. L’armée de terre, constituée elle aussi de professionnels, sera réduite, pour l’essentiel, à une Force d’action rapide (FAR), renforcée mais toujours rapide. En Europe, on consentira au partage des tâches : à la République fédérale d’Allemagne, sous protection nucléaire française, la garde à l’Est ; à la France, qui sait y faire, la veille face au Sud. Mais au Sud, qui s’arme quand nous désarmons, il faut de la subtilité dans les moyens, les tactiques… et la diplomatie ; en Afrique, champ privilégié de notre action, des « forces déléguées » doivent être suscitées. Pour ces reconstructions il faut un architecte compétent, courageux, intègre. On recommande le portrait que trace Jean-Louis Dufour, à la page 251, du ministre idéal, méprisant « les fausses popularités » et dont le modèle, s’il était généralisé, pourrait sauver du naufrage notre classe politique.
Le livre se termine sur une évocation du monde de demain, et de son partage : les démocraties d’un côté, de l’autre les attardés. Ceux-ci sont désormais montrés du doigt et « l’opération Bouclier du désert est probablement la dernière des guerres ».
Sans doute le plan de l’ouvrage n’est-il point assez ferme, et l’élégance des sous-titres nuit à sa claire compréhension. Mais le style est un régal. Le style, c’est l’homme : en voici un nouveau, dont on reparlera. ♦