L’année stratégique 1990
L’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), que dirige à l’Université de Paris-Nord Pascal Boniface, a groupé dans ce livre deux documents précieux : son Année stratégique et la version française du célèbre Military Balance de l’IISS (Institut international d’études stratégiques) de Londres. Dresser un tel état des lieux, en ces temps où la belle idée du soir est bévue demain matin, était un périlleux exercice. Les auteurs – nombreux – s’en sortent fort bien et on leur saura gré d’avoir fixé, au vol, ce moment crucial de nos incertitudes.
L’Année stratégique s’ouvre par l’exposé de la stratégie de la France et de ses perspectives. Politique militaire et politique politicienne s’y imbriquent étroitement ; c’est là une triste réalité, et pas seulement française, que Pascal Boniface traduit exactement.
Le monde nous est ensuite présenté par grandes régions. De ce vaste tableau, nous ne relèverons que quelques touches.
Au chapitre de l’URSS et de l’Europe de l’Est, les auteurs recommandent la circonspection devant les réductions annoncées du potentiel soviétique, auxquelles peut s’appliquer le slogan de Lénine : faire moins, mais mieux. Ils soulignent les ambiguïtés de la nouvelle doctrine, acceptation de la dissuasion « de suffisance » mais condamnation fondamentale de l’arme nucléaire… qui l’assure.
L’analyse de la politique militaire américaine est solide. Les discussions en cours sur la modernisation de la triade stratégique et le choix de l’ICBM mobile (MX ou Midgetman) retiendront l’attention, comme les inquiétudes du Pentagone sur la prolifération nucléaire, justification nouvelle d’une Initiative de défense stratégique (IDS) réduite à la protection des sites.
En Amérique latine, où la drogue s’inscrit au nombre des menaces internationales, on regrettera que le Pérou, théâtre du conflit le plus cruel de l’époque, et le plus anachronique, ne soit pas mieux traité.
Au Proche-Orient, l’accent est mis avec pertinence sur deux nouveautés : l’Intifada dans les territoires occupés par Israël (spontanéité organisée et exploitation médiatique des enfants victimes) ; l’abandon par le roi Hussein de Jordanie de ses responsabilités en Palestine (décision qui n’a pas encore développé toutes ses fâcheuses conséquences). Mais au Maghreb, l’évolution de l’islam est à peine évoquée, insuffisance que souligne aujourd’hui le résultat des élections algériennes.
L’Afrique est au plus bas, encore que le pire, là-bas, soit assuré. À la misère s’ajoute la violence, qui perdure au Sahara, entre le Sénégal et la Mauritanie, au Soudan, en Éthiopie, en Somalie, si bien que l’Afrique australe va passer pour modèle de paix.
En Asie, la surprise est en Afghanistan, où le départ de l’Armée rouge a montré l’incapacité des résistants à profiter de leur « victoire » et l’aptitude inverse des Soviétiques à exploiter leur « défaite ».
Revenons à la préface. Pascal Boniface y souligne très justement l’extravagante conjoncture de cette année 1990. On déplore d’autant plus qu’il se soit laissé aller, comme beaucoup, à mettre sur le même pied l’URSS et les États-Unis.
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De la version française du Military Balance 1989-1990, deuxième partie du livre, il y a peu à dire, sinon pour louer l’idée : l’original anglais est certes de lecture aisée, mais il n’est pas facilement accessible. Aux commentaires, excellents, qui accompagnent les chiffres indispensables, nous emprunterons cette conclusion bien modeste : « Une agression militaire en Europe serait une option très risquée avec des conséquences imprévisibles, particulièrement tant qu’existera le risque d’une escalade nucléaire ». ♦