Vent d’Est. Vers l’Europe des États de droit ? (actes d’un colloque)
Les vents ont soufflé en direction du Centre d’études et de recherches internationales (Ceri) de la Fondation des sciences politiques, lors d’un colloque organisé à Paris en juin 1989, Ce petit livre à la couverture verte comme l’espoir rassemble les textes de quelques-unes des communications prononcées à cette occasion par des universitaires venus d’URSS et de « satellites » qui déjà ne l’étaient plus guère.
Tous s’interrogent sur la notion ambiguë d’« État socialiste de droit », qui semble avoir eu les faveurs de dirigeants un peu dépassés par les événements et qui consiste somme toute à accorder une large liberté de manœuvre à l’intérieur d’un cadre intangible. Autrement dit, du moment qu’on va de Paris à Lyon, le choix est offert entre la route, la voie ferrée et l’avion (alors qu’auparavant le moyen de transport et même le numéro de la place étaient imposés), mais nul n’a le droit de préférer se rendre à Bordeaux. Le système résulte d’une « révolution par le haut » concédée devant l’inévitable, mais limitée par un arsenal de « lois défensives », d’autant plus nombreuses qu’elles sont peu novatrices et qu’à l’occasion elles peuvent se trouver contournées, voire neutralisées par la réglementation d’application ou tout simplement par l’usage. En rend bien compte le terme de « démocrature, mélange instable de démocratie et de dictature pour pays post-totalitaires ». Après tout, il n’est pas évident que la légitimité démocratique, telle que nous la connaissons, soit obligatoirement appelée à occuper la place laissée vacante par la légitimité marxiste, et une formule moyenne pourrait ainsi s’instaurer en Russie, pays de tradition despotique, prêt à remplacer la référence sacrée d’octobre par celle d’avril (1985).
La situation est un peu différente dans les pays qui ont connu des épisodes, même timides, de libéralisme politique. Pour résumer grossièrement des impressions de lecture, disons que la Pologne revendique l’antériorité avec Walesa et Wojtyla et paraît tentée par une transition légaliste dans la ligne actuelle de Solidarnosc, tandis que les Tchèques arguent de leur pratique démocratique et sont toujours à la recherche du fameux « socialisme à visage humain », et qu’à Budapest l’aile réformiste du PSOH (Parti socialiste ouvrier hongrois) est tellement prête à lâcher du lest qu’elle ne se distingue plus tellement des opposants. Quant à la République démocratique allemande (RDA), nul n’en parle plus depuis que les folles nuits de la porte de Brandebourg ont tout balayé et que la parité du Mark est devenue un sujet beaucoup plus préoccupant que l’orthodoxie idéologique !
Les textes sont encadrés par une introduction de Pierre Grémion et une conclusion de Pierre Hassner. Le premier situe la rencontre dans « la dynamique d’Helsinki », définit l’État de droit (à l’inverse de la formule stalinienne : « La liberté de la société entière assure la liberté du citoyen ») et, bien qu’il s’en défende, est à la recherche de garanties juridiques à défaut de certitudes, Le second, paraphrasant avec bonheur Raymond Aron (« Communisme impossible, démocratie improbable ») n’exclut pas l’apparition de quelque national-populisme pouvant comporter une bonne dose d’arbitraire. Pages fort instructives, même si le lecteur moyen, qui suit sagement tant qu’il s’agit de la descendance d’Hegel, a tendance à décrocher sur la continuité Kant-Jean Monnet.
En conclusion, ouvrage utile qui permet de mieux cerner une situation confuse et mouvante. Deux questions subsistent : la première concerne la liberté d’expression stupéfiante des intervenants ; les biographies jointes étant sommaires, mais permettant de constater que la plupart occupent des postes éminents dans leur pays, furent-ils tous à l’image de Jicinsky « exclu de l’université après le printemps de Prague, signataire de la charte 77 » ou tinrent-ils naguère d’autres discours ? La seconde question est soulevée par la langue limpide, claire, élégante : est-elle due à une culture francophone accomplie ou au talent de traducteurs qui mériteraient alors d’être cités ? ♦