Enjeux du monde. Bilan et perspectives 1989-1990
La Fondation du futur, animée par Jacques Baumel, a analysé au cours de nombreux colloques la plupart des faits, d’ordre stratégique, diplomatique, économique et financier, ou socioculturel, porteurs d’avenir. Pour les dix ans de sa création, 1989, elle ne pouvait rêver d’un plus bel anniversaire ! Elle a tenu à consigner cette année charnière dans une plaquette qui fait le point des principaux enjeux internationaux.
Dans une courte préface « Au seuil du XXIe siècle », Jacques Baumel résume pour l’essentiel l’état des questions (déclin des idéologies, invasion de la civilisation de l’image, de l’éphémère, de la vitesse). Face à la technologie envahissante et à la puissance de l’argent, l’homme s’interroge sur son identité. Le XXIe siècle sera-t-il religieux comme l’a prédit André Malraux ? Pour sa part, il ne semble pas trop y croire, car « à l’ère héroïque des guerriers, des grands prêtres, des conquérants, va probablement succéder celle des gestionnaires, des cadres, des ingénieurs, des technocrates ».
Pierre Lellouche s’interroge dans « Après le mur… » sur la signification des événements complexes de 1989. Son analyse générale est perspicace, mais on peut mettre en doute un certain nombre de ses affirmations. Dire que le système international « vit sa vie » hors du contrôle des gouvernements, n’est qu’exprimer une vérité temporaire, Après tout bouleversement révolutionnaire (1789-1815, 1848, 1870-1871, 1917-19…, 1968…), les États reprennent le dessus même s’ils doivent sûrement, cette fois-ci, ébaucher en Europe des formes nouvelles de coopération. C’est introduire une fois encore le thème central de la confédération, sur lequel Jacques Baurnel avait conclu son introduction.
Pierre Lellouche décrit un certain nombre de paradoxes à titre de bilan (soviétique, américain, allemand, désarmement…). Il poursuit ce mode de présentation dans le domaine de l’action. Là encore, quelques-unes de ses analyses paraîtront audacieuses. Que l’on en juge : il doute « qu’on puisse tenir la cohésion des alliances en les transformant en organes politiques chargés de négocier pacifiquement entre eux ». Il estime qu’« il est difficile de concevoir, quoi qu’en dise M. Kohl. qu’une Allemagne réunifiée soit compatible avec la Communauté économique européenne (CEE) telle que nous la connaissons aujourd’hui ou avec l’Otan… ».
Quant à l’article de Renata Fritsch-Boumazel sur les relations interallemandes, après l’ouverture des frontières, il nous permet de mesurer cette fantastique accélération de l’histoire à laquelle nous avons assisté depuis novembre 1989. La spécialiste de l’Allemagne contemporaine ne concluait-elle pas en ces termes bien prudents : « Dans l’avenir proche, c’est donc à la naissance d’une démocratie pluraliste est-allemande que l’on peut s’attendre et au développement, entre elle et la RFA [République fédérale d’Allemagne], d’une communauté contractuelle. L’histoire a été plus rapide que les analyses les mieux fondées ».
Pierre Hassner termine son interrogation sur : « Y a-t-il encore une Europe de l’Est ? » avec une formule à la Raymond Aron : « Communisme impossible, démocratie improbable ? » Mais il souligne bien que l’Europe de l’Ouest devra en démentir le pessimisme. Et, vraisemblablement, elle le pourra. Bien d’autres intéressantes analyses figurent dans ce recueil. Hélène Carrère d’Encausse s’interroge : « Où va l’Europe de l’Est ? » ; Françoise Thom scrute la perestroïka an IV ; Manfred Wörner présente les défis et occasions pour l’Otan dans les années 1990, Au-delà des problèmes de l’Europe, on trouvera également des développements sur la Chine (général Henri Eyraud), l’Amérique latine (Guy Hermet) ou l’Iran après Khomeyni (Olivier Roy). Deux parties portent également sur « société et culture » et « économie et finances ».
La Fondation du futur a apporté une utile contribution au débat, encore loin d’être achevé, sur la portée historique de l’année 1989. ♦