Un otage à Beyrouth
La presse a abondamment rendu compte de cet ouvrage, qui a bénéficié par ailleurs d’une large publicité. Être otage à Beyrouth par les temps qui courent signifie être à la pointe de l’actualité et mérite un livre. C’est ce qu’a fait Roger Auque, en collaboration avec Patrick Forestier.
Œuvre de journaliste, cette relation d’une détention de près d’un an est essentiellement descriptive, le ton étant donné dès le début par le démarrage en trombe du récit de l’enlèvement, un des risques quotidiens courus par les habitants de Beyrouth-Ouest.
Plus dur que les « Quartiers de haute sécurité », moins que les camps de concentration ? se demande l’auteur à la recherche de quelque échelle de comparaison dans sa détresse solitaire. Pas de violence physique, tout au plus des tartarinades de la part des gardiens, mais une ambiance oppressante, un univers irrationnel : promesses non tenues, mensonges flagrants, allusions menaçantes, le tout ponctué par de brusques transferts d’une geôle à une autre.
L’otage en est réduit à des hypothèses étayées par une bonne connaissance de la topographie de la ville et des mœurs de ses habitants. Il s’agit, passés les premiers espoirs de libération rapide, de tenir physiquement et moralement, dans une cave ou une pièce d’appartement, à deux pas de chez soi, en entendant tout près le papotage des voisines, les jeux des enfants, le décollage des avions. La charge émotive du livre réside dans la description de cette attente. Nous y percevons le relief pris par les petits soucis de la vie quotidienne, de la perte des lentilles de contact à la perpétuelle relecture des quelques livres obtenus. Dans le même temps, il faut lutter contre le désespoir, voire la folie. Y contribuent la pression continue, hargneuse, sur des gardiens paresseux et lymphatiques, la prière, que l’otage se remet à pratiquer, tout comme les geôliers, chacun à sa façon ; la hantise de l’évasion enfin, sur des projets fous dont l’absence de moyens et la mauvaise condition physique et psychique interdisent la réalisation.
Après avoir suivi une libération qui, avant l’heure des honneurs officiels, semble s’être déroulée dans des conditions plutôt houleuses, le lecteur moyen est loin d’avoir reçu toute la lumière sur les agissements des diverses factions qui se partagent Beyrouth. Au moins dispose-t-il d’un témoignage humble et sincère, rédigé sans haine mais sans concession par un homme dont les portraits montrent le visage sympathique et le regard clair.
Roger Auque n’a pas « trouvé ça drôle ». Il le dit. En cette fin de XXe siècle, on pourra méditer sur la nature des questions que se pose le prisonnier à la recherche des motifs de son enlèvement : « Qu’ai-je fait de mal ? Qu’ai-je à me reprocher ? ». Pas de réaction du type « Civis romanus sum ! ». Une personne au moins peut ressentir une profonde joie en parcourant ces pages : Marlène, la compagne syrienne à qui le livre est dédié, objet de tous les vœux et de tous les rêves, personnification de la perfection, jamais oubliée.♦