Les bases de la puissance du Japon
« Vous saurez tout sur le Japon », comme dans la chanson… et même ce que vous n’avez jamais pensé à demander ! N’attendez toutefois pas ici un manuel scolaire, mais un recueil de communications, émanant de dix experts, et qui, isolées, constitueraient déjà, chacune dans une spécialité déterminée, un document porteur d’une information considérable et d’une interprétation pertinente. L’analyse porte sur les forces, mais aussi sur les faiblesses, et c’est dans ce dernier terme que réside la surprise. Les auteurs bousculent nombre d’« idées reçues », non pas par principe et pour suivre la mode, mais sur la base de données solides et parfois inattendues qui amèneront le profane à atténuer quelque peu l’admiration mêlée de crainte révérencielle que lui inspire un dynamisme visible tant sur le parvis de Notre-Dame que dans les vitrines de la FNAC :
– une population nombreuse, mais frappée d’une « léthargie démographique durable et volontaire » et détenant le record mondial d’espérance de vie. Dès lors, le problème de cette société malthusienne n’est plus la fabrication de rares berceaux, mais la recherche de méthodes modernes de « cocotiers », comme l’exportation massive vers la Costa Brava de communautés de vieillards nippons ;
– un excédent commercial gigantesque, mais reposant sur un partenaire fortement prépondérant (les États-Unis) et sur quelques articles produits par un petit nombre de firmes. En outre, cette position « captive » ne corrige en rien la dépendance énergétique et n’exclut pas les impasses, comme l’abandon de l’électrométallurgie ou l’absence de stocks de matériaux stratégiques ;
– un système politique efficace, mais masquant la faiblesse institutionnelle de l’exécutif. Le moteur en est la domination des partis, bâtie sur le clientélisme qui parvient à drainer les votes de citoyens plus patients peut-être et moins individualistes que les descendants des Gaulois, mais tout aussi frondeurs et fraudeurs. Parmi la « masse moyenne », le fameux « consensus » ne prévaut que parce que sont exclus les problèmes de fond, présents en coulisse ;
– une place respectable sur la scène internationale, mais (excepté quelques constantes comme la « connivence » avec le monde chinois) une politique extérieure velléitaire, pour ne pas dire erratique, appliquée par des diplomates disposant d’une marge de manœuvre minime et prisonniers des hésitations, contradictions et rivalités gouvernementales.
Sans douter de la valeur des chapitres « culturels », ni de leur nécessité en vue de la bonne compréhension du milieu et de ses réactions, leur lecture présente un intérêt moins direct pour qui en est au stade de l’information. On en tirera l’impression générale d’une forte « continuité mentale », appuyée sur une « boulimie de connaissances », elle-même satisfaite à l’aide des moyens techniques les plus modernes de diffusion de la pensée.
Jean Esmein, déjà auteur de la riche introduction, s’est réservé la partie finale intitulée « Résultats ». Ne cachons pas que le parcours en est ardu. Point de sensationnelles prédictions, mais – l’érudition engendrant la modestie – des conclusions nuancées dans les domaines géopolitique, économique, financier et stratégique, face à des problèmes complexes tels que la restructuration industrielle permanente, l’emploi optimal d’une richesse encombrante et l’appréciation du strict minimum à consentir dans le domaine de la défense.
Ouvrage de référence, solide, qu’il convient d’aborder sans oublier – afin d’éviter tout contresens – qu’il se situe au niveau du Collège de France et non d’un « dépliant pour touriste » se préparant à la découverte des charmes de Ginza. ♦