Exposé à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) le 20 avril 1976 par le député (R.I.) maire de Neufchâteau, quelques jours après qu’il ait quitté la présidence de la Commission de la défense nationale et des forces armées, qu’il exerçait depuis avril 1973 et à laquelle lui a succédé M. Raymond Dronne (Réformateur).
À quoi sert la Commission de la Défense nationale de l'Assemblée ?
En qualité d’ancien Président de la Commission de la Défense Nationale et des Forces Armées de l’Assemblée Nationale, je vais vous apporter, en réponse au désir que vous avez exprimé, quelques indications sur le rôle de cette Commission parlementaire et son fonctionnement ; je verrai successivement :
— ses compétences,
— sa composition,
— ses méthodes d’information,
— son travail législatif,
— son activité de contrôle.
— ses relations avec les autres Commissions et avec l’Assemblée en général,
— enfin, son influence.
Les compétences de la Commission
La Commission de la Défense Nationale et des Forces Armées est une des six Commissions de l’Assemblée Nationale.
Sous la IIIe et la IVe République, le Parlement connaissait des Commissions très spécialisées : à l’Assemblée Nationale, de 1946 à 1958, il y en avait 19. Mais l’article 43 de la Constitution du 4 octobre 1958 a limité le nombre des commissions parlementaires à 6, sans pour autant en définir les compétences ; celles-ci relèvent du règlement de chaque Assemblée. Le règlement du Sénat a constitué une Commission des Affaires Étrangères et de la Défense : celui de l’Assemblée Nationale, dans son article 36, a confié ces deux secteurs très importants que sont les Affaires Étrangères et la Défense, à deux commissions distinctes.
Les compétences de la Commission que j’ai eu l’honneur de présider jusqu’à une date récente englobent :
— l’organisation générale de la défense,
— la politique de coopération et d’assistance dans le domaine militaire,
— les plans à long terme des Armées,
— les industries aéronautique, spatiale et d’armement,
— les établissements militaires et arsenaux,
— le domaine militaire,
— le service national et les lois sur le recrutement,
— les personnels civils et militaires des Armées,
— la Gendarmerie et la Justice militaire.
Ces compétences, apparemment, sont vastes ; en pratique, elles le sont moins.
En effet, la Constitution de 1958 a prévu dans son article 40 que les propositions et amendements formulés par les parlementaires ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence, soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique : bien entendu, cette disposition limite considérablement l’initiative parlementaire à moins que le Gouvernement ne veuille bien « fermer les yeux » : il le fait très rarement et c’est ce qui vide considérablement de son sens la discussion budgétaire.
Mais, comme à toute règle, il peut y avoir des exceptions rarissimes. C’est ainsi que notre collègue, M. de Bennetot, désirant donner aux appelés qui servent dans la Marine la possibilité, s’ils le désirent, de prolonger leur service militaire, a déposé une proposition de loi qui, entraînant des dépenses supplémentaires, tombait sous le coup de l’article 40 de la Constitution. Pour rendre sa proposition apparemment recevable, il avait inséré un article qui prévoyait que les dépenses consécutives à l’application de son texte seraient couvertes par les remboursements effectués à la Marine pour ses interventions au profit des bâtiments ou des personnes ayant bénéficié de son concours. C’est, bien entendu, une source de financement hypothétique. Cet artifice ne pouvait suffire, il fallait encore que le Gouvernement acceptât la proposition. Avec difficulté, mais vu la ténacité de l’auteur de la proposition et l’unanimité de la Commission, nous avons pu convaincre le ministre qui n’a donc pas soulevé en séance publique l’irrecevabilité de la proposition de loi.
Un autre exemple montrera que les compétences de la Commission sont également plus limitées qu’on pourrait le croire : L’article 3 de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires a décidé que les statuts particuliers seraient dorénavant du domaine réglementaire et non de la compétence législative. Il en résulte que, pris en Conseil d’État, ces statuts particuliers ne sont plus soumis à la discussion parlementaire.
Il ressort de tout ceci qu’une des caractéristiques de la Commission de la Défense Nationale est de ne pas être une Commission à activité législative. C’est pour cela que depuis le début de la législature, nous n’avons voté que 5 projets de loi non budgétaires dont deux sont importants : l’un sur le service national en 1973 et l’autre dernièrement sur le statut général des militaires. Une seule proposition de loi, celle de M. de Bennetot, deviendra loi très prochainement (1).
Une autre caractéristique de notre travail législatif, c’est que bon nombre de propositions de loi dont nous sommes saisis ne peuvent, pour des raisons politiques, être rapportées et acceptées par la Commission. C’est ainsi que MM. Montdargent et Mitterrand ont déposé respectivement une proposition de loi tendant à nationaliser l’industrie aéronautique ; nous ne pouvions, bien entendu, l’accepter. M. Debré, dans un tout autre domaine, a déposé une proposition de loi qui tend à étendre le service national par l’instauration d’un service civil ; cette idée ne nous a pas semblé devoir être retenue pour l’instant.
La composition de la Commission
L’effectif maximum de la Commission est égal au huitième de l’effectif des membres composant l’Assemblée, soit 62 députés. Tous les groupes politiques de l’Assemblée y sont représentés, ce qui n’est pas toujours le cas dans les autres Commissions de défense de pays voisins. Actuellement, la Commission comprend 59 membres, dont : 21 U.D.R., 13 Socialistes, 9 Communistes, 9 Républicains Indépendants, 6 Réformateurs et 2 députés non inscrits.
L’éventail des origines de ces parlementaires est très large : on y trouve des députés de cités portuaires, par exemple M. de Bennetot. M. Allainmat. M. Darinot : des avocats, par exemple M. Commenay, M. Albert Bignon ; des députés qui ont dans leur circonscription des bases aériennes, par exemple M. Beucler, M. Crespin. Un grand nombre de professions sont représentées au sein de la Commission : elles vont de l’agriculture à l’enseignement, au commerce et à la fonction publique.
La Commission comprend, de plus, de véritables spécialistes des problèmes de défense ; tels sont en effet MM. De Bennetot, ancien élève de l’École Navale, Max Lejeune, ancien ministre des Armées, Villon, député communiste, qui présida jadis la Commission au début de la IVe République.
Des députés exerçant des fonctions très importantes au sein de l’Assemblée Nationale ont voulu être membres de cette Commission ; par exemple, M. Max Lejeune qui est rapporteur du budget de la Gendarmerie, est le président du groupe des Réformateurs, M. Chinaud qui est très souvent rapporteur de textes relatifs au service national, est le président du groupe des Républicains Indépendants, M. Correze est membre du Bureau de l’Assemblée Nationale. Toutefois, les militaires devenus parlementaires ne semblent guère soucieux de faire partie de la Commission. Il y a toutefois des exceptions : outre M. de Bennetot, il faut citer aussi M. Brocard, député R.I. de Haute-Savoie, qui fut contrôleur général des armées avant d’être parlementaire et qui, sous la précédente législature, était membre de la Commission et rapporteur du budget de l’armée de l’air.
La Commission a, à sa tête, un bureau qui comprend : 1 président, 3 vice-présidents, 3 secrétaires.
Ce bureau est renouvelé chaque année au début de la session ordinaire d’avril ; il a été renouvelé le 6 avril dernier. Les membres du bureau sont élus au scrutin secret par catégorie de fonction. Si la majorité absolue n’a pas été acquise aux deux premiers tours de scrutin, la majorité relative suffit au troisième tour ; et en cas d’égalité des suffrages, le plus âgé est nommé.
À l’heure actuelle, à côté du président, M. Dronne, siègent au bureau de la Commission comme vice-présidents : MM. d’Aillieres, de Bennetot, Albert Bignon ; comme secrétaires : MM. de Kerveguen, Mourot, Valbrun.
Ainsi qu’il apparaît clairement, aucun membre de l’opposition ne fait partie du bureau de la Commission.
L’information de la Commission
Un des soucis principaux des membres de la Commission est de se documenter, et à cette fin ils cherchent à recouper plusieurs sources de renseignements.
En premier lieu sont organisés des voyages d’études. Ces missions ont lieu d’abord en France. Dans ce cas, elles sont d’une durée assez brève car il faut concilier les exigences du calendrier de la Commission avec les impératifs de l’emploi du temps des militaires qui la reçoivent. Sont ainsi visités assez fréquemment les bases aériennes, les régiments de toutes les armes de l’armée de terre, les différentes bases navales et, bien entendu, les bases de la F.N.S. J’attachais personnellement une très grande importance à ces visites car elles permettent aux membres de connaître les difficultés qu’affrontent les militaires. Au-delà des documents toujours très froids qui pouvaient nous être remis, nous découvrions ainsi la réalité avec ses exigences et ses contradictions. De ce fait, nous pouvions mieux prendre conscience de l’exagération qui caractérise certains services parisiens, qui se fient à leur seul intellect alors que sur place les responsables doivent trouver, quoi qu’il en soit, une solution aux problèmes qui se présentent.
Lors de ces visites, nous avons toujours eu des contacts avec les militaires de tous grades et nous les avons interrogés afin de découvrir leurs préoccupations et leurs inquiétudes.
Il n’y a pas de déplacement qui ne nous ait permis de discuter avec les officiers, les sous-officiers et les appelés. Dans ces échanges de vues très enrichissants, nous avons mieux pris conscience des difficultés de chaque catégorie de personnels. Aussi ne faut-il pas s’étonner si, bien avant la récente amélioration de la condition matérielle des militaires, nous avons eu conscience, à la Commission, de l’acuité de ce problème. Nos doléances auprès des ministres successifs sont restées sans réponse au début mais, à force d’être répétées, nous avons pu obtenir gain de cause.
À côté de ces visites réalisées en France, il faut noter aussi les missions à l’étranger. Ces voyages sont délicats à organiser car la Commission s’intéresse bien entendu à des sujets que la plupart des États considèrent comme des secrets dont la divulgation est peu souhaitable à l’égard d’étrangers. Néanmoins, selon les pays, nous avons pu ainsi glaner des renseignements, observer sur place quelles ont été les solutions trouvées. Durant le temps où j’ai présidé la Commission, nous avons visité plusieurs pays de l’Est (U.R.S.S., Hongrie. Roumanie, Yougoslavie) ; nous avons été au Danemark, en Suède, en Norvège, aux États-Unis. La Commission doit cette année se rendre au Japon et il était prévu qu’elle aille l’an prochain en Amérique du Sud et en Grande-Bretagne.
Toutes les missions accomplies en France, dans nos départements et territoires d’outre-mer ou à l’étranger font l’objet de comptes rendus afin que les commissaires soient parfaitement renseignés, qu’ils aient participé ou non aux déplacements.
Outre les voyages, la Commission s’informe aussi par des auditions. Elle invite différentes personnalités à venir l’informer ; elle entend ainsi le ministre et son secrétaire d’État ; leurs exposés sont toujours pour elle une source très enrichissante. Entre 1960 et 1974, les ministres successifs de la Défense interdisaient à leurs hauts subordonnés de venir devant la Commission ; c’est M. Soufflet qui leur a permis de nouveau de venir informer la Commission de leurs préoccupations et leurs objectifs. Toutefois, les chefs d’état-major de chaque armée n’ont pas encore été entendus. Pour l’instant, les auditions se limitent à celles du chef d’état-major des armées, du secrétaire général pour l’administration, du délégué ministériel pour l’armement et du directeur de la gendarmerie.
L’an dernier, nous avions par ailleurs demandé au délégué au commissariat à l’énergie atomique de venir nous exposer les perspectives actuelles des recherches nucléaires en matière de défense. Nous avons, en novembre et en décembre derniers, organisé une série d’auditions sur les problèmes aéronautiques ; ainsi sont venus successivement devant la Commission M. Maillet, président du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales, M. Ravaud, président de la SNECMA, M. Vallieres, président des Avions Marcel Dassault et M. Jacques Mitterrand, président de la SNIAS.
Toutes ces auditions offrent l’occasion d’échanges de vues entre les commissaires et les personnalités entendues car, après chaque exposé, des questions sont posées à l’orateur et ce dialogue très fructueux permet d’obtenir des précisions sur tel ou tel point.
À côté de ces sources d’information collective, les différents membres de la Commission peuvent se documenter individuellement ; c’est plus particulièrement le travail des rapporteurs. Lorsque la Commission est saisie d’un texte, elle nomme en effet un rapporteur. Pour le budget de la Défense, il y en a sept dont les rapports portent sur le Titre V, Titre III, Section commune, chaque armée et Gendarmerie. Ces rapporteurs s’efforcent de réunir tous les renseignements dont ils ont besoin pour procéder à l’analyse des crédits militaires. À cette fin, ils adressent au ministre de la Défense des questionnaires détaillés auxquels les services du ministère répondent par écrit, souvent hélas avec un laconisme et une concision très regrettables. Comme ordre de grandeur, chaque rapporteur budgétaire pose de 50 à 100 questions. Ces rapporteurs ont aussi des entretiens avec les chefs d’état-major de chaque armée et des hauts responsables des trois armées : directeur du personnel, directeur des plans et de la programmation, directeur du budget.
Ainsi que vous le voyez, l’information des rapporteurs est indiscutablement plus approfondie que celle des membres de la Commission qui tous, bien entendu, à titre personnel, peuvent demander à être reçus par un chef d’état-major.
Cette information peut se concrétiser si elle se fait en dehors de textes législatifs dans des rapports d’information. Ainsi, dès le début de la présente législature, nous avons eu conscience de la nécessité de la revalorisation de la condition militaire. À cette fin, nous avons désigné un rapporteur d’information : M. Jean-Paul Mourot. L’objet de son travail — et je crois qu’il l’a accompli avec succès — était d’informer le Parlement et le Gouvernement de la dégradation de la condition matérielle des militaires et d’indiquer, en conséquence, au Gouvernement quelles étaient les directions essentielles de l’effort que l’on devait entreprendre.
Le travail législatif de la Commission
La Commission doit étudier les textes dont elle est saisie. Il faut à cet égard rappeler que le Gouvernement dépose des textes sur le Bureau de l’Assemblée : les projets de loi ; lorsque l’initiative émane des parlementaires ces textes s’appellent propositions de loi.
Pour les analyser, un rapporteur est nommé qui étudie soigneusement la portée des dispositions proposées. Le travail du rapporteur est très astreignant et peut durer plusieurs mois. C’est ainsi que le projet de loi modifiant le statut général des militaires avait été déposé au Sénat à la fin du mois de juin 1975, en raison de l’ordre du jour particulièrement chargé de l’Assemblée Nationale. Sans attendre d’être saisis de ce texte en octobre après le vote du Sénat, nous avions désigné un membre de la commission pour l’étudier ; dès le mois de septembre, il a eu de multiples entretiens tant avec l’administration centrale qu’avec les responsables de chaque armée.
La Commission est saisie au fond ou pour avis. Dans le premier cas, elle est compétente pour analyser tous les aspects du texte ; dans le second cas, bien que renvoyé à une commission permanente, ce texte bénéficiera en plus de l’avis d’une autre commission. Cette dernière se contentera d’analyser les dispositions qui relèvent de sa compétence ou de donner un éclairage sur les modalités de son application. C’est ainsi que nous avons été saisis de deux propositions de loi tendant à nationaliser l’industrie aéronautique et que la Commission de la Production et des Échanges a cependant demandé à donner un avis ; de même, en ce qui concerne la proposition de loi relative à l’extension du service national par l’instauration d’un service civil, la commission des lois a fait savoir qu’elle désirait donner un avis.
Par ailleurs, l’attitude de la commission sera différente s’il s’agit d’un projet de loi ou d’une proposition de loi ou du budget. Si c’est un projet de loi, le rapport approuvé par la commission conclut au rejet ou à l’adoption du texte ou le plus souvent, à l’adoption d’un texte modifié par un certain nombre d’amendements que le rapporteur de la commission est chargé de défendre en séance publique ; en matière de projet de loi, le texte qui sert de base à la discussion en hémicycle est le texte du Gouvernement. S’il s’agit d’une proposition de loi, en revanche, la commission, à partir du texte de l’auteur de la proposition de loi, doit élaborer un nouveau texte ; ce sont les conclusions de la commission qui servent de base à la discussion en séance publique.
En matière budgétaire, la commission saisie au fond est la Commission des Finances, la Commission de la Défense Nationale ne donne donc que des avis. Les 7 rapporteurs cités tout à l’heure étudient le budget selon différents éclairages : il y a deux rapporteurs généraux, celui du Titre III et celui du Titre V qui sont donc des rapporteurs interarmées : il y a également les rapporteurs de chaque section : pour la section forces terrestres, pour la section marine, pour la section air, pour la section commune et pour la section de la gendarmerie. Ils étudient respectivement le Titre III et le Titre V de leur section.
On peut dire que l’analyse du budget correspond au temps fort de l’activité de la Commission. Chaque rapporteur étant indépendant dans son activité, il se peut que des divergences apparaissent dans leurs conclusions. C’est ainsi que lors de l’analyse du budget de cette année, le rapporteur du Titre V a conclu au vote de l’ensemble de ce titre alors que le rapporteur de la section forces terrestres proposait le rejet du Titre V de sa section.
Il est bon de signaler enfin que, selon l’ordonnance du 2 janvier 1959, les parlementaires ne votent que sur les Titres et non sur les sections et encore moins sur les programmes contrairement à bon nombre de parlementaires, par exemple les Allemands et les Américains. De ce fait, nous ne pouvons que rejeter en bloc ou approuver globalement l’ensemble des dépenses d’un Titre sans influer sur la cadence et le déroulement des programmes.
L’activité de contrôle de la Commission
Elle se manifeste essentiellement lors de la discussion budgétaire. C’est à ce moment-là que les rapporteurs peuvent le plus facilement souligner certains abus ou certaines lacunes de l’action administrative. Mais, tenant leurs informations du ministère, il leur est très difficile d’arriver à de véritables éléments de jugement. Comme toujours dans la vie, il faudrait une pluralité de sources de renseignements pour cerner valablement la vérité. Comme pour tous les secteurs ministériels actuels, le meilleur contrôle est celui qu’exerce l’administration elle-même par son propre corps de contrôleurs ; je pense ici à l’action éminente des contrôleurs des armées et, bien entendu, au rôle efficace de la Cour des Comptes.
Il ne faut pas cependant en conclure que le contrôle de la commission soit inexistant. Sur des points précis elle a pu obtenir satisfaction. Il y a environ deux ans, par les syndicats de la poudrerie d’Angoulême, j’étais alerté sur la décision prise de fermer définitivement cette poudrerie dont les terrains, en raison de l’exploitation précédente de l’établissement, s’avéraient définitivement inutilisables. En compagnie d’un vice-président, nous nous sommes déplacés et nous avons essayé de comprendre sur place la justification de cette décision. Les parties intéressées, syndicats, direction de l’établissement, préfecture, nous ont fait part de leur point de vue ; aussi, revenus à Paris, nous avons pu, en intervenant auprès du ministre, faire annuler la décision de fermeture de cette poudrerie.
De même, récemment, nous étant rendus en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie, nous avons entendu les militaires regretter la décision récente de ne plus affecter dans les territoires d’outre-mer les appelés métropolitains. À notre retour, nous en avons parlé au ministre qui a ainsi appris lui-même que cette mesure était plus ou moins décidée alors qu’il n’en savait rien.
Certains membres de la Commission peuvent enfin, à titre personnel, avoir une activité de contrôle en participant à divers comités, soit le Comité de Contrôle des prix de revient des matériels d’armement, soit le Conseil Permanent du Service Militaire. Mais leur conclusion ou leur information n’est pas portée à la connaissance des membres de la Commission.
Les relations de la Commission avec les autres commissions et l’Assemblée nationale en général
Les relations entre commissions peuvent se manifester lorsqu’une commission demande à donner son avis ; dans notre domaine ceci arrive rarement. Toutefois, la situation change lorsqu’il s’agit de la Commission des Finances. Celle-ci est saisie au fond lors de la discussion budgétaire ; la Commission de la Défense doit donc se contenter de donner un avis. Aussi la tentation est-elle grande pour les rapporteurs de la Commission des Finances de traiter les problèmes militaires au fond et de se substituer à nous, alors qu’elle devrait se cantonner dans une analyse purement financière. Inutile de vous dire que le président de la Commission de la Défense réagit, mais souvent en vain ; en ce qui concerne la détermination des frontières des deux commissions, la guérilla est aussi âpre que vaine. Ainsi voit-on parfois le même parlementaire soutenir des points de vue différents selon qu’il se trouve dans l’une ou l’autre commission.
À propos des relations de la Commission avec l’Assemblée réunie en hémicycle, je ne dirai rien qui ne soit valable aussi pour les autres commissions. On sait comment se déroule un débat législatif en séance publique. On entend d’abord le rapporteur, puis le ministre ; après quoi s’instaure une discussion générale ; puis on discute et on vote article par article ; sur chacun d’eux on procède de la même manière pour les amendements qui y sont présentés. Sur chaque amendement, il y a donc une discussion puis un vote. Le rapporteur de la Commission, sur ses propres amendements comme sur les autres, donne son point de vue et indique à l’Assemblée quelle a été ou quelle serait l’attitude de la Commission. Il ne faut pas croire, d’ailleurs, qu’en séance publique la Commission soit toujours suivie ; des aspects politiques peuvent inciter les parlementaires à voter dans un sens différent.
Un exemple en est fourni par la loi sur la programmation. La Commission de la Défense aurait voulu que cette loi s’insère dans le cadre d’une loi de programme : un amendement, très voisin du nôtre, avait également été déposé par la Commission des Finances ; vu la conjoncture économique actuelle, qui est très évolutive, le Gouvernement a préféré déposer un nouvel amendement qui l’obligeait, avant le 31 mars, à remettre sur le Bureau du Parlement un document d’ensemble sur la programmation. Les considérations que le ministre de la Défense a formulées devant la Commission ont paru très convaincantes et c’est pour cela qu’elle s’y est ralliée.
L’influence de la Commission
De tout ce qui précède, il ressort que la Commission ne participe pas à la détermination de la politique de défense : c’est l’apanage du Président de la République, Chef des Armées, qui le fait en Conseil de Défense.
Nous en arrivons donc ainsi à une question fondamentale : À quoi sert la Commission ? Avant d’y répondre, deux observations s’imposent :
— tout d’abord, il manque aux commissaires des connaissances techniques qui leur permettraient de choisir entre tel ou tel type de matériel. Est-il préférable que l’armée de terre soit dotée du fusil C.A.L. belge ou du H.K. 33 allemand, ou du M 16 A 1 américain ? Seuls les intéressés, après des expérimentations très poussées, peuvent le dire. Est-il préférable que l’armée de l’air choisisse l’A.C.F. lourd « bi-moteur » et doté du radar Puise Doppler ou l’A.C.F. « léger » doté du radar Cyrano 8 ? Seuls les militaires responsables ont les compétences techniques pour le dire ;
— ensuite, le rôle de la Commission n’est pas de prendre parti sur les problèmes techniques mais d’aborder ces questions à un niveau plus élevé : la coopération européenne, l’absence de fusils automatiques pendant une certaine période, le plan de charge de notre industrie aéronautique… C’est en se situant à ce niveau que la Commission peut valablement intervenir.
Ces deux remarques faites, je dois dire que la portée du rôle de la Commission me semble loin d’être nul ainsi que le montrent les exemples suivants :
— Dans le cadre de la discussion du projet de budget pour 1973, la Commission avait manifesté une vive opposition au remplacement éventuel de l’Étendard par le Jaguar navalisé. Or, ce type d’appareil a été abandonné et le Gouvernement a opté pour le Super-Étendard. Sans prétendre que l’attitude de la Commission ait été décisive, je me plais à penser que ses arguments ont pu néanmoins peser sur le choix du Gouvernement.
— Lors de la discussion, à la session de printemps de 1973, du projet de loi modifiant le Code du Service National, la Commission avait décidé de compléter la liste des jeunes qui pourraient bénéficier d’un report supplémentaire d’incorporation, et elle a été suivie par le Gouvernement. Grâce à cette intervention, les jeunes qui se trouvent dans une situation familiale ou sociale grave, sans toutefois pouvoir bénéficier d’une dispense, peuvent demander un report supplémentaire (jusqu’à 23 ans), dont l’octroi relève de la compétence d’une commission régionale.
— Lors de la discussion du projet de budget pour 1974, la Commission avait fait connaître avec vigueur qu’elle estimait insuffisant l’apport financier prévu en faveur des personnels d’active. Devant l’impossibilité pour les parlementaires de déposer un amendement tendant à l’augmentation des crédits en la matière — un tel amendement aurait eu pour conséquence, en effet « l’aggravation d’une charge publique » et, comme tel, il aurait été irrecevable aux termes de l’article 40 de la Constitution — devant cette impossibilité, donc, la Commission a considéré qu’il était de son devoir de conclure au rejet des crédits du Titre III. Elle n’a accepté de revenir sur sa décision que lorsque le ministre a consenti à accorder une indemnité de repas de midi en faveur de certains cadres de l’armée de terre.
Dans le cadre de la même discussion budgétaire, la Commission s’est montrée résolument hostile à l’attitude du Gouvernement, qui se refusait à envisager le remboursement par la Caisse de Sécurité sociale militaire d’un supplément de cotisation indûment perçu pendant plusieurs années au détriment des retraités, et ceci nonobstant un arrêt du Conseil d’État. Le rapporteur a souligné que ce refus du Gouvernement mettait en cause « à la fois le crédit de l’État et le respect dû aux arrêts de la plus haute instance administrative ». La Commission a été suivie par l’Assemblée Nationale tout entière, et la loi de finances a prévu le remboursement dans son article 77.
— Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 1975, tous les membres de la Commission avait insisté auprès du Gouvernement pour que les appelés bénéficient d’un prêt plus convenable et d’un certain nombre de voyages gratuits. Le Gouvernement a été insensible à tous ses arguments en raison surtout de la dépense qui allait en résulter. Toutefois, quelques mois plus tard, en février dernier, le Gouvernement prenait des décisions qui allaient dans le sens des vœux formulés par la Commission.
— Dans le cadre de la discussion du projet de loi modifiant le statut général des militaires, la Commission a pu modifier le texte dans le sens qu’elle souhaitait ; c’est ainsi que dorénavant, conformément au vœu de la Commission, « les notes et appréciations seront obligatoirement chaque année communiquées aux militaires », ce qui est normal à un moment où la carrière militaire devient sélective. Cette mesure rapproche les militaires des fonctionnaires civils. De même, alors que le Gouvernement avait prévu que le corps des majors comprendrait deux grades, celui de major et celui de major principal, la Commission a obtenu que ce nouveau corps ne comprenne que le grade de major, ce qui limite le nombre des grades des sous-officiers. Enfin, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 1976, elle a déploré que le budget ne prévoie, par exemple, que la création de 500 postes de majors ; nous en avons obtenu 300 supplémentaires.
— De même, notre volonté que les prochains budgets se situent dans le cadre d’une programmation a certainement obligé le Gouvernement à prendre l’engagement de déposer un document sur cette question ; nous aurions souhaité une loi de programme, ce qui nous est proposé sera en fait mieux qu’un simple document interne à l’administration qui serait resté inconnu du public.
Ces exemples positifs doivent, toutefois, être nuancés car il est parfois malheureusement très difficile pour la Commission d’influer sur l’action du Gouvernement. Je peux vous dire que nous avons souvent eu raison avant le Gouvernement et que celui-ci ne s’est rallié que tardivement à notre analyse ; je pense, par exemple aux avantages donnés aux appelés en février 1975 alors que nous les avions demandés en octobre 1974 ; je pense aussi à l’augmentation des charges militaires réalisée par le Président Pompidou en janvier 1974 alors que la Commission l’avait réclamée en octobre et novembre 1973 ; je pense, enfin, à la revalorisation de la condition militaire demandée en 1973 et en 1974 et qui ne s’est concrétisée qu’en 1976. Puisse donc le Gouvernement entendre plus souvent qu’il ne le fait la Commission de Défense Nationale. Puisse le Gouvernement ne pas lui donner raison rétrospectivement.
Je voudrais, enfin, conclure en vous faisant la confidence que les décisions de la Commission sont très souvent prises à l’unanimité. Certes, les clivages politiques apparaissent sur les options fondamentales, par exemple la politique de dissuasion. Mais sur la nécessité d’augmenter les dépenses militaires par rapport au produit intérieur brut, sur des problèmes de gestion (infrastructure, entretien, fonctionnement des unités) ou sur certains aspects du problème du service militaire, très souvent les membres sont du même avis, quelles que soient leurs opinions politiques. En voici un exemple : Notre collègue, M. de Bennetot, voulait que les appelés puissent prolonger par des contrats à court terme leur service militaire : sa proposition de loi a fait l’objet d’un rapport de M. Chinaud, dont les conclusions ont été adoptées aussi bien par les groupes de la majorité que par les Socialistes et les Communistes. Cet exemple est loin d’être unique dans nos annales.
Je pense donc que la Commission de la Défense Nationale et des Forces Armées est la seule Commission de l’Assemblée où l’unanimité se réalise aussi souvent ; la raison est simple : c’est que les uns et les autres nous sommes, comme tous les Français, conscients des nécessités de la défense dans un monde où l’on est encore loin du désarmement. ♦
(1) Cette loi a été récemment promulguée et publiée au Journal Officiel du 11 mai 1976.