Commandant en chef des forces des Nations unies en Corée, mais ne relevant en fait que de l’Exécutif américain, le général MacArthur entra en conflit avec le Président non pas à propos d’un éventuel emploi de l’arme nucléaire, mais de l’attitude à adopter à l’égard de la Chine. Truman ne recherchait pas en Asie une décision militaire, il voulait faire la démonstration de la volonté américaine de ne pas s’incliner devant l’agression. MacArthur, au contraire, pensait la guerre en termes de victoire militaire, une victoire qui aurait marqué le début de la reconquête du continent et à laquelle devraient participer les forces de Tchang Kaï-chek. En bref le généralissime était totalement opposé à la politique asiatique du Président et rendit publique cette opposition. Longtemps Truman toléra les incartades de MacArthur. Les imprudences de celui-ci déclenchèrent l’intervention en force des divisions chinoises qui faillit être fatale au corps expéditionnaire interallié. Rien n’illustre mieux la nécessité, déjà affirmée par Clausewitz, de la subordination du militaire au politique et de leur commune adhésion à des buts de guerre clairement définis.
Il y a vingt-cinq ans : le conflit Truman-Mac Arthur
Il y a vingt-cinq ans, l’opinion publique était attentive aux controverses provoquées par une situation qui ne s’est présentée que très peu souvent dans l’histoire des États-Unis : le conflit entre le Président et un chef militaire investi de très hautes responsabilités, situation qui était même entièrement nouvelle dans la mesure où ce chef militaire commandait les forces des Nations Unies. Le 11 avril 1951, le président Truman avait, dans les termes suivants, annoncé qu’il relevait le général MacArthur de ses commandements :
« Avec un profond regret, j’ai conclu que le général d’armée Douglas MacArthur n’est pas en mesure d’apporter son appui sans réserve à la politique du gouvernement des États-Unis et des Nations Unies dans les domaines du ressort de ses fonctions officielles. En raison des responsabilités précises qui m’incombent aux termes de la Constitution des États-Unis et des responsabilités à moi confiées par les Nations Unies, j’ai décidé qu’il me fallait effectuer un changement dans le commandement du théâtre d’opérations extrême-oriental… La discussion approfondie et vigoureuse des questions de politique nationale est un élément fondamental dans le système constitutionnel de notre libre démocratie. Toutefois, il est essentiel que l’action des chefs militaires soit soumise aux directives à eux envoyées suivant les voies prévues par nos lois et notre Constitution. En temps de crise, cette considération est particulièrement impérative ».
Les faits sont connus. Lancée à l’aube du 25 juin 1950, l’attaque de la Corée du Nord contre la Corée du Sud provoqua une riposte américaine immédiate. Dès le lendemain, le Conseil de Sécurité de l’O.N.U., réuni à la demande du secrétaire d’État Dean Acheson, déclara qu’il ne s’agissait pas d’un incident de frontière, mais d’une véritable invasion ; il demanda la cessation immédiate des hostilités et le retrait des forces nord-coréennes sur le 38e parallèle. Immédiatement alerté en sa qualité de commandant en chef des forces américaines en Extrême-Orient, le général MacArthur indiqua, le 26, qu’à son avis l’effondrement de la résistance sud-coréenne était imminent. Le 27, le président Truman annonça qu’il avait ordonné « aux forces aériennes et navales des États-Unis d’accorder aux troupes du gouvernement coréen leur soutien et leur appui »… « donné l’ordre à la VIIe Flotte d’empêcher toute attaque contre Formose ». Le général MacArthur reçut de ses supérieurs, les chefs d’état-major (Joint Chiefs of Staff, J.C.S.) la charge directe des opérations en Corée et en Extrême-Orient. Dès le 30 juin, il sollicita et obtint l’autorisation d’engager en Corée des forces terrestres jusqu’à concurrence de deux divisions : il ne s’agissait plus d’un incident de frontière, mais d’une guerre. Désormais, les États-Unis ne pouvaient plus abandonner la Corée sans reconnaître leur défaite sur le champ de bataille. Le 7 juillet, par 7 voix contre 1, le Conseil de Sécurité adopta une résolution américaine selon laquelle « l’attaque dirigée contre la République de Corée par des forces armées venues de Corée du Nord constitue une rupture de la paix » et recommanda aux membres de l’O.N.U. d’apporter à la République de Corée « toute l’aide nécessaire pour repousser les assaillants et rétablir dans cette région la paix et la sécurité internationales ». Dans le cadre de cette résolution, le général MacArthur fut nommé commandant en chef des forces des Nations Unies en Corée. C’est alors que s’ouvrirent les équivoques qui devaient aboutir au conflit entre pouvoir civil et pouvoir militaire. MacArthur n’avait d’autres chefs que les J.C.S. et le Président des États-Unis, et il ne cessa de considérer ses liens avec les États-Unis comme une gêne à son action. Il s’en expliqua le 3 mai 1951 devant le Congrès : « Mes liens avec les Nations Unies étaient en grande partie théoriques. Des dispositions furent prises aux termes desquelles le contrôle de mon théâtre d’opérations et de tout ce que je faisais devait être exercé par nos propres chefs d’état-major. Même les rapports que j’adressais aux Nations Unies étaient soumis à la censure du Département d’État et du Département de la Défense. Je n’avais aucun lien direct avec les Nations Unies. J’étais contrôlé exactement de la même façon que si toutes les forces placées sous mon commandement avaient été américaines. Toutes mes communications étaient adressées au haut commandement américain ».
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