Le KGB, une puissance souterraine
« Kremlinologue » depuis quinze ans au Bundesinstitüt fur ostwissenschaftliche und internationale Studien (Cologne), l’auteur livre ici le fruit de ses recherches personnelles, sans vouloir engager la responsabilité de l’Institut dans lequel elle travaille. Elle constate que « l’action du KGB [services de renseignement intérieurs] n’a pas seulement contribué de façon décisive à maintenir au pouvoir un régime totalitaire attardé ; son rôle a été également déterminant dans nombre d’événements importants de l’histoire mondiale contemporaine ». Le principal (1) service secret soviétique reste, parmi les organisations d’aujourd’hui, à la fois une des plus importantes et la plus mal connue du grand public. Pour qui veut s’informer, les sources ne manquent pourtant pas : à côté de textes officiels, les très nombreuses déclarations publiées permettent, par de sérieux recoupements, de se faire une idée assez précise de la partie immergée de l’iceberg.
Mme von Borcke analyse d’abord « le phénomène KGB ». Simultanément « glaive et bouclier du parti », il est l’héritier direct, à travers maints avatars dont elle fait l’historique, de la tcheka (police politique) de 1917. Elle analyse ensuite ses missions et ses méthodes, son influence sur le processus des prises de décision en URSS, son rôle, tant à l’intérieur qu’auprès des satellites du glacis européen (2), dans le Tiers-Monde et vis-à-vis des puissances occidentales, son « alliance objective » avec les terrorismes de tout acabit. Tant par l’étendue de ses missions, qui vont de la surveillance de la société au contrôle des frontières, de la garde des dépôts nucléaires à l’espionnage tous azimuts et au contre-espionnage, à l’intoxication et à la désinformation sans oublier les « affaires humides » (« coups tordus »), que par l’ampleur de ses moyens et une action menée sans souci de la légalité même soviétique, il ne peut être comparé à aucun service présent ou passé, à l’exception du RSHA (Office central de la sécurité du Reich) nazi. Sa puissance résulte moins d’un « chiffre d’affaires » pourtant considérable (3) que de son ubiquité et de sa présence dans les cercles dirigeants du parti, pour qui il est « un glaive à double tranchant » : son audience a recommencé à augmenter vers la moitié de l’ère Brejnev. Beaucoup plus que les forces armées, il pourrait être tenté de confisquer à son profit la totalité du pouvoir, au détriment du reste du PC (parti communiste).
La 3e partie est consacrée à la politique religieuse du KGB. Elle fait ressortir d’abord toute l’importance conservée par les sentiments religieux dans la population, malgré 70 ans d’athéisme officiel et militant. Elle montre ensuite comment a été opérée, parallèlement à la poursuite de la propagande antireligieuse, la domestication du clergé orthodoxe et d’une partie des Églises baptistes, souligne le rôle d’informateur exigé – et obtenu – de leurs membres autorisés à se rendre à l’étranger, et l’infiltration par leur intermédiaire d’organisations religieuses internationales comme le Conseil œcuménique des Églises. Sans être totalement absente, la politique musulmane du KGB aurait sans doute mérité de plus longs développements.
Très clair et facile à exploiter, ce petit manuel en allemand, comportant une abondante bibliographie, est un ouvrage d’information très intéressant.
(1) Le GRU (renseignements militaires russes) est en effet parvenu à conserver son autonomie. Il garde un rôle très important dans les opérations de recherche par moyens électroniques. Parfois délicate, la coopération entre les deux services se serait sensiblement améliorée.
(2) Une bonne partie de leurs dirigeants actuels sont d’ailleurs d’anciens membres des services de renseignements locaux. Ces derniers restent sous la coupe du KGB qui leur répartit les missions en fonction des besoins et des occasions.
(3) Son budget propre serait du même ordre que celui de l’ensemble de l’US-lntelligence Community (CIA [Central Intelligence Agency] + DIA [Defense Intelligence Agency] + FBI [Federal Bureau of Investigation] + …), mais il bénéficie en outre d’importantes prestations gratuites de la part de maintes autres institutions soviétiques, et il gère, lui-même ou indirectement, diverses firmes d’import-export, souvent spécialisées dans le trafic d’armes et de drogues, comme la Fintex bulgare…