« La modernisation de la défense chinoise et ses principales limites, 1977-1983 »
La politique de défense chinoise a fait l’objet en 1984 d’une étude sérieuse, tel le travail de Georges Tan Eng Bokn, attaché de recherche au CNRS et affecté au Centre de sociologie de la défense nationale, qui est actuellement chargé d’études à l’Institut Atlantique des affaires internationales. Après un rappel du système des forces armées en Chine populaire, l’auteur analyse dans cet ouvrage, les inadaptations de la politique chinoise de défense dans le contexte stratégique actuel, les mesures prises depuis 1977 pour tenter d’y remédier, et les limites à une réelle modernisation de la défense en Chine.
Le principe des « 4 modernisations » émis pour la première fois en 1964, détermine tous les choix de la politique intérieure et extérieure de la Chine post-maoïste. Bien que reléguée au 4e rang des priorités, la défense chinoise va connaître d’immenses progrès, dictés par la nécessité d’assurer la sécurité de la Chine. Les 7 200 kilomètres de frontière commune avec l’URSS et l’« asymétrie » des forces soviétique et chinoise, permettent en effet à l’Union soviétique d’entreprendre une offensive contre la Chine, contrainte d’adopter une attitude défensive.
Malgré les efforts consentis au développement et à la production de nouveaux systèmes d’armes, la tendance au réalisme des dirigeants chinois et l’urgence des questions économiques laissent peu de ressources à la modernisation de la défense. Il ne faudrait pas en conclure que les besoins de la sécurité nationale vont être négligés.
Pour le gouvernement de Beijing, il convient tout d’abord de « renforcer la modernisation de la défense nationale sur la base du développement de l’économie ». Un second principe repose sur « l’utilisation graduelle de nouveaux systèmes d’armes ». Cette politique consisterait donc, à court terme, à améliorer progressivement l’arsenal existant, et à préparer le secteur de la recherche et du développement en vue de produire à long terme de nouvelles générations d’armes. Une modernisation en profondeur de l’Armée populaire de libération (APL) implique par conséquent des efforts substantiels ; l’état actuel des ressources et les capacités au niveau de la recherche et du développement obligent les dirigeants chinois à favoriser des secteurs bien précis au détriment d’autres domaines. Si elle veut être en mesure de répondre à tout type d’agression, la Chine ne peut pas se laisser enfermer dans une politique « du tout ou rien ». Elle doit développer un seuil de crédibilité minimal en matière d’armement conventionnel, capable de faire face à des agressions non-nucléaires, comportant des risques d’escalade. La question est de savoir quand la Chine pense atteindre ce seuil de crédibilité, qu’il paraît d’autant plus difficile à apprécier que Beijing entretient une certaine ambiguïté parmi ses intentions. Il semblerait que le concept chinois contraindrait la Chine à admettre la suprématie soviéto-américaine. Mais comment convaincre ? Voilà la problématique que pose la version chinoise de la « dissuasion du faible au fort ». Dans la mesure où elle ne peut prétendre mener une dissuasion dite « du fort au fort », la Chine doit compter autant sur sa crédibilité, que sur la « protection indirecte » que lui confère le « grand triangle stratégique », sachant que ses intérêts de sécurité nationale ne gagnent rien à alimenter une tension bilatérale avec son voisin soviétique.
En définitive, l’incertitude de la politique de défense de la Chine permet de maintenir le système tripolaire actuel, indispensable à la version chinoise d’une « dissuasion du faible au fort » et à la modernisation de son APL. C’est la conclusion à laquelle aboutit l’auteur, dont l’étude repose largement sur l’utilisation de sources de première main, méthodologiquement confrontées et analysées. Cet ouvrage constitue une somme remarquable de réflexions et d’hypothèses, dont l’aspect technique demande une lecture attentive.