« Las de veiller sur le festin des corrompus », les militaires argentins ont déposé Isabelita Perón le 24 mars 1976 et mis fin à l’expérience justicialiste relancée en 1973 par son illustre mari. La Junte, avec à sa tête le général Videla, a affiché une volonté initiale de modération mais elle risque d’être entraînée à la dictature par l’engrenage de la répression et des « bavures » commises dans la lutte contre la recrudescence d’une guérilla qui dépasse les frontières argentines et pousse la Junte à s’allier aux gouvernements les plus contre-révolutionnaires du continent.
L’intervention cubaine en Angola vient compliquer cette situation et fournit une justification à ceux qui, en Amérique, voudraient constituer un front anticommuniste dans la zone australe, avec le concours de l’Afrique du Sud, sous la forme d’une alliance de l’Atlantique Sud qui serait le pendant de l’Otan. L’ouverture d’une autre voie, grâce à un syndicalisme qui s’inspirerait d’un péronisme épuré et qui permettrait l’union des forces populaires et la relance de l’économie argentine, paraît pour l’instant hypothétique.
« Le chaos économique, le vide du pouvoir, la corruption et l’immoralité administrative, la fraude politique, l’étouffement des institutions démocratiques, le mépris des droits élémentaires et des libertés, la malversation des fonds publics, la confusion totalitaire entre le parti et le gouvernement, l’apparition de la délinquance au sommet de l’État, la complicité sinon la responsabilité des hauts fonctionnaires dans les méfaits de certaines bandes armées qui assassinent, torturent et séquestrent impunément les citoyens, forment un panorama que n’a jamais connu auparavant la société argentine » (1).
C’est ainsi que des dirigeants de la très modérée Union Civique Radicale, principale force d’opposition, pourtant soucieuse de maintenir le dialogue avec le péronisme et de sauvegarder les institutions démocratiques, caractérisaient la situation de la République Argentine le 1er janvier 1976.
Aussi le coup d’État militaire du 24 mars qui mit fin au gouvernement présidé par la veuve du général Perón n’est guère apparu comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Annoncée depuis plusieurs mois et jugée par de nombreux observateurs inéluctable, la rupture de l’ordre constitutionnel semble même avoir été accueillie avec un certain soulagement par l’opinion. À preuve, l’absence de réactions populaires. À l’issue d’une des périodes les plus sombres de l’histoire argentine contemporaine, les syndicats péronistes se sont révélés incapables de mobiliser leurs troupes pour défendre le gouvernement légal et les héritiers du Général. Les militaires, chassés du pouvoir le 25 avril 1973 dans la réprobation quasi universelle, sont apparus à nouveau comme l’ultima ratio de l’existence nationale. Par quels cheminements trois ans de gouvernement justicialiste et d’un pouvoir plébiscité par plus de 60 % de l’électorat ont-ils pu faire oublier l’impopularité de sept ans de « gouvernement des forces armées » (1966-1973) ?
La paralysie économique
La pente de la guerre civile
Un coup d’État à contrecœur ou la théorie du fruit mûr
Réorganisation ou restauration nationale ?
Un retour aux « frontières idéologiques » ?
La fin d’une époque