Israël face à l’islam
Claude Renglet, journaliste et cinéaste d’origine belge, a effectué de très nombreux séjours en Israël et dans les pays arabes. Son livre est une excellente présentation de l’événement le plus authentiquement « historique » de notre siècle : le retour des Juifs en Palestine, la création d’un État à la fois très moderne et très anachronique.
Si les péripéties guerrières et diplomatiques, depuis l’expédition de Suez (1956) jusqu’à Paix en Galilée (intervention militaire israélienne au Liban en 1982), sont bien connues, il n’en va pas de même de la genèse de l’État juif, que le 1er chapitre du livre nous rappelle opportunément. Genèse dans le classicisme religieux des « Amants de Sion », pionniers des toutes premières exploitations agricoles de Palestine, fuyant en 1878, la police du Tsar. Genèse théorique avec Théodore Herzl qui, Viennois à Paris, publie en 1896 L’État juif et fonde l’année suivante le Mouvement sioniste mondial. Genèse politique avec la fondamentale Déclaration Balfour de 1917, dont les Anglais eux-mêmes, chargés du mandat palestinien après la Première Guerre mondiale, tenteront de neutraliser les effets explosifs en limitant, par le Livre Blanc de 1939, l’immigration juive et l’achat des terres arabes. Genèse militaire enfin avec le Hachomer, organisation d’auto-défense des premiers immigrés, puis la Hagana, milice officieuse sous le mandat britannique, l’Irgoun et le groupe Stern, groupements extrémistes pratiquant sans scrupule guérilla et terrorisme. L’efficace originalité de l’Armée israélienne, créée dans l’action au début de la guerre constitutive de 1948, doit beaucoup à ces origines fort peu conventionnelles.
L’État, né dans la guerre, poursuit une croissance dont le terme n’est pas défini. Les conquêtes de 1967 sont-elles marches protectrices, sont-elles préfiguration du « Grand Israël », voire étapes vers sa réalisation ? Aux quelque 3 400 juifs citoyens israéliens s’ajoutent 10 millions de citoyens potentiels : la Loi du retour, qui, en 1950, a reconnu à tout Juif le droit à immigrer, fait d’Israël un État en devenir. Les Arabes dépossédés, humiliés par la réussite du peuple honni plus encore que par ses succès militaires, craignent à juste titre un expansionnisme aussi clairement affiché. Dans ce face-à-face, la radicalisation se distribue également : aux trois non arabes d’août 1967 (non à la paix, à la négociation, à la reconnaissance d’Israël) répondent en 1979 les trois non de Menahem Begin (à l’évacuation, à un État palestinien, à l’abandon de Jérusalem).
Non moins intéressantes sont les observations de Claude Renglet sur la société israélienne. Société politique, elle est née socialiste. Ben Gourion, ancien Premier ministre, avec une extrême lucidité et une égale économie, s’est battu sa vie durant pour lier immigration et travail de la terre. Prévenant ainsi le développement d’une économie de type colonial que l’implantation en milieu arabe rendait probable, il crée avec les kibboutz autant d’îlots de socialisme intégral. C’est sans doute cette expérience quasi utopique qui valut initialement à Israël la sympathie de l’URSS, premier État à reconnaître le nouveau-né de 1948 : aujourd’hui les îlots socialistes des kibboutz subsistent, mais englués, comme raisins dans le pudding, au sein d’une société d’économie parfaitement libérale. Une ambiguïté analogue sous-tend le régime, qui tient de la démocratie et de la théocratie. Thora et Talmud pour Coran et Commentaires, tribunal rabbinique pour cadi, hébreu ressuscité pour arabe moderne, les parentés sautent aux yeux, entre l’État d’Israël et tel État arabe un peu traditionnel.
De cette théodémocratie, Jérusalem est le siège fixé de toute éternité. Face aux 2 rejetons déviants de la religion d’Abraham, le judaïsme affirme sereinement son absolue prééminence : « Si je t’oublie, Jérusalem, que ma droite se dessèche ! » (Psaume 137).