La coloniale, du Rif au Tchad, 1925-1980
Erwan Bergot, ancien officier de la Coloniale, parachutiste, combattant d’Indochine et d’Algérie et grièvement blessé, consacre son talent et son dynamisme, depuis qu’il a quitté l’Armée active, à faire revivre dans ses nombreux ouvrages les combats, les gloires et les épreuves de l’Armée française dans la période moderne – tâche apparemment impossible, à une époque qui rejette couramment les valeurs anciennes. Mais mission réussie, c’est ce que l’on ressent à la lecture de son dernier livre. Contaminé soi-même, on s’apprête à parcourir sans passion un morceau de littérature édifiante ; on y trouve bien autre chose : une très solide documentation militaire, un style ferme émaillé d’heureuses trouvailles et le défilé émouvant des petits et grands héros de notre toujours vivante Coloniale.
Il est vrai que le sujet est beau, « l’Arme » étant de tous les coups durs outre-mer par vocation, mais aussi au premier rang de la défense métropolitaine : nos trois grandes guerres européennes l’ont vue sur la brèche, comme en témoigne le drapeau du RICM (Régiment d’infanterie chars de Marine), le plus décoré de nos emblèmes. De 1925 à 1980 nous suivons nos marsouins et nos bigors au long d’un demi-siècle de fureurs et, pour un peu, sur la planète entière : le Maroc, la Mauritanie, le Tchad de Leclerc, Bir Hakeim et la libération de la France, l’Indochine et l’Algérie. Enfin les extravagantes campagnes du Tchad, dernière aventure et non la moins pénible, lorsque les susceptibilités hargneuses des responsables locaux s’ajoutent à l’incompréhension, habituelle celle-là, de nos concitoyens.
Tout au long de ces pages fiévreuses court la chanson de la camaraderie. Son plus beau refrain fait justice du « colonialisme » : l’héroïsme, au coude-à-coude, de nos Africains rigolards, Tirailleurs sénégalais improprement nommés, bien que l’expression soit un hommage justifié à nos premiers et très fidèles compagnons d’armes. En tête du cortège des sacrifiés marche le capitaine N’tchoréré, victime de la guerre et du racisme fusillé en juin 1940 par les Allemands après l’héroïque résistance de sa compagnie.
L’ouvrage relate des faits de guerre. Mais pour les anciens, il évoquera aussi les charmes du folklore colonial, et ses chantres. Ils rêveront avec Mac Orlan aux marsouins du 2e RIC, en vadrouille dans la vieille rue de Siam et les bistrots de Recouvrance. Ils goûteront la bizarrerie inquiétante de l’exotisme guerrier, précieusement enfermée dans trois petites phrases d’André Malraux :
« la nuit tombe sur les morts du dernier combat…
les rapaces patients attendent
et, près des glaives tombés qui reflètent la lune,
des singes touchent d’un doigt intrigué les yeux des morts ». ♦