Reminiscences, Discreet and indiscreet
Triloki Nath Kaul est probablement le diplomate indien le plus expérimenté. Parmi les postes qui illustrent sa longue et brillante carrière, il convient de citer le secrétariat général du ministère des Affaires étrangères, les ambassades de Moscou et de Washington. Auteur de nombreux ouvrages, dont une féroce réfutation du premier volume des mémoires de Kissinger (The Kissinger Years, Arnold-Heinemann, New Delhi, 1980 ; 112 pages), Kaul publie maintenant ses souvenirs qui éclairent non seulement la vie d’un individu mais aussi les relations internationales de son pays.
Né en 1914 au Cachemire, État auquel il témoignera toute sa vie un très grand attachement, il est issu de la classe moyenne, d’une famille brahmane. Un de ses grands-pères était chef de la police de l’État de Jodhpur, son père était fonctionnaire.
De 1932 à 1934, il suit les cours de droit à l’université d’Allahabad puis, de 1934 à 1937, au Kings College à Londres. Il ne manque pas d’être impressionné par le libéralisme des Anglais et s’indigne des préjugés de caste de ses camarades indiens. Il soutient une motion condamnant la domination de l’Angleterre sur l’Inde, motion qui est adoptée par l’écrasante majorité des étudiants du Kings College. Durant son séjour en Angleterre, de nationaliste qu’il était, il devient internationaliste, mais il illustrera par sa vie le mot de Jaurès : beaucoup d’internationalisme rapproche du patriotisme.
Rentré en Inde, Kaul devient membre du prestigieux Indian Civil Service (ICS). Ses premiers postes le conduiront dans les zones rurales des Provinces Unies où il prendra conscience des clivages de classes. Il a assez de temps pour lire Harold Laski et les Webb. Les luttes du Congrès national indien, pendant la guerre, suscitent sa sympathie et son enthousiasme. Mais il est suffisamment objectif pour constater les grandes qualités de certains fonctionnaires anglais et pour rappeler que quelques-uns d’entre eux ont été moins durs pour le Congrès que certains membres Indiens de l’ICS.
Après l’indépendance et un court passage au ministère de l’Agriculture, Kaul entre dans la diplomatie. Il est envoyé à l’ONU, en URSS, aux États-Unis, en Chine (il y signe le fameux Accord de 1954), devient président de la Commission internationale de surveillance et de contrôle en Indochine, représente l’Inde en Iran, à Londres, revient à Delhi comme secrétaire général au ministère des Affaires étrangères, est nommé ambassadeur en URSS en 1962 et ambassadeur à Washington en 1973.
Kaul est un vrai laïque qui veut séparer radicalement l’État de la religion. Il pense que Nehru, après l’assassinat de Gandhi, aurait dû interdire tous les partis communautaires. C’est ce qui explique aussi sa prise de position très catégorique sur le Cachemire et sur « le piège anglo-américain » tendu à l’Inde en 1949 à l’ONU. Selon Kaul, le principe d’autodétermination ne s’applique qu’à des colonies et territoires ne se gouvernant pas eux-mêmes car, s’il s’appliquait aux États souverains, toute la carte du monde devrait être refaite.
Kaul présente une défense passionnée du Traité indo-soviétique de 1971. Cet instrument, dit-il, n’est pas un traité d’alliance, ne comporte pas de mesures militaires, il constitue une mise en garde à l’adresse des États-Unis, qui ont des projets agressifs. Il est tout à fait compatible avec le non-alignement qui ne signifie ni neutralité ni équidistance à l’égard des deux superpuissances. Et Kaul de montrer que le traité a bien plus profité à l’Inde qu’à l’URSS.
En conclusion, un livre qui se lit d’un seul trait, qui passionne, dans lequel l’anecdotique et le conjoncturel ne font que mieux ressortir une grande leçon de diplomatie et de politique étrangère. ♦