La « riposte graduée », qui reste la doctrine officielle de l'Otan, est dangereuse et périmée. Telle est la conclusion à laquelle est parvenue une équipe de spécialistes américains du Laboratoire scientifique de Los Alamos. Face à un adversaire dont les forces sont équipées d'armes nucléaires, il est vain, affirment-ils, d'espérer pouvoir se défendre d'abord avec des moyens classiques pour faire appel ensuite, lorsque ceux-ci s'avèrent insuffisants, au feu nucléaire tactique. On risque de tout compromettre et, dans la débâcle, d'être acculé très vite à l'échange stratégique dont la riposte graduée voulait précisément retarder l'échéance fatale.
À ce concept inefficace, les chercheurs de Los Alamos proposent de substituer une stratégie défensive de l'avant basée sur l'emploi quasi immédiat d'armes nucléaires tactiques du type « mininukes » et de missiles antiaériens et antichars guidés formant un barrage de feux denses, appliqués sur les concentrations ennemies repérées. Selon les auteurs de ce rapport dont le résumé est présenté et commenté ici par l'auteur, colonel (e.r.), l'entretien de ce système défensif coûterait deux fois moins cher que celui du système des forces alliées actuelles.
Il ne saurait être question que les forces nucléaires françaises participent à une telle stratégie de l'avant dont le caractère intégré est de toute évidence incompatible avec l'indépendance d'appréciation de décision que la France entend se réserver vis-à-vis de tout conflit en Europe et hors d'Europe.
La conclusion des auteurs quant à l'impossibilité de la séquence « conventionnel-nucléaire » et la nécessité de prévoir la nucléarisation d'emblée de toute bataille majeure mérite néanmoins sérieuse réflexion, et ceci d'autant plus qu'elle est conforme à la doctrine généralement prêtée aux forces du Pacte de Varsovie.
Lorsque la stratégie américaine, dès 1960, effectua son virage spectaculaire sous l’impulsion du président Kennedy et de son secrétaire à la Défense Mac Namara, passant de la doctrine des représailles massives à celle de la « flexible response », une grave période de doute s’ouvrit dans l’esprit des techniciens et des tacticiens américains, sans parler des alliés européens. Si la plupart d’entre eux approuvaient sans réserve l’abandon du « tout ou rien », de la riposte nucléaire immédiate du Strategic Air Command, qui conduisait au suicide général, force était bien de constater que la nouvelle stratégie allait un peu loin dans le sens de la souplesse : car non seulement elle abandonnait le recours à l’atome stratégique pour la défense du continent européen, mais elle proscrivait, en même temps, l’emploi immédiat de l’arme nucléaire tactique, autour de laquelle avaient été calculés les effectifs de l’OTAN, organisée l’armée de terre américaine (le système « pentomic ») et élaborée sa doctrine tactique. Le recours à l’atome tactique, tenu par Mac Namara et Enthoven comme le détonateur du suicide général, en vertu du mythe de l’escalade, était différé jusqu’au moment où l’évolution de la bataille terrestre imposerait son intervention… d’où l’idée d’une « réponse souple » reculant autant que possible l’utilisation de l’arme fatidique.
Fort séduisante pour des esprits non avertis, applaudie sans réserve par l’opinion publique et approuvée, de ce fait, par les politiciens américains, cette doctrine, qui est toujours celle de l’OTAN, était et demeure consternante pour tous les spécialistes : pour les tacticiens d’abord, il était quasi impossible d’imaginer une doctrine sans savoir, à l’avance, sur quel armement ils devaient compter et à quel moment pouvait intervenir dans la bataille la seule arme sérieuse, mais hypothétique, dont ils disposaient ; pour les techniciens de l’Atomic Energy Commission qui avaient réussi de 1950 à 1960 le tour de force d’introduire l’explosif nouveau dans les canons de campagne (canons de 155) et les mortiers de l’infanterie (Davy Crockett), le coup de frein politique et psychologique provoquant un ralentissement de leurs recherches sur l’armement tactique fut une douche froide sur leur enthousiasme, au moment où s’ouvraient des voies nouvelles et prometteuses dans la technologie des armes.
Enfin, pour les stratèges, conscients depuis le lancement du « Spoutnik », de la nécessité de compléter la dissuasion stratégique par la défense tactique, la « flexible response » poussée à ce point de « flexibility » risquait de ruiner à la fois la dissuasion et la défense : la dissuasion, en introduisant un doute dans l’esprit de l’adversaire sur la volonté américaine de recourir à l’atome ; et la défense, en interdisant aux militaires de miser sur une arme dont l’usage était rien moins que certain, dans les plans de guerre et dans les doctrines d’emploi. Depuis quinze ans, les protestations — parfaitement vaines d’ailleurs jusqu’ici — contre cette stratégie ambiguë se sont exprimées avec autant de vigueur en privé que de prudence en public. Mais voici qu’un des réquisitoires les plus sévères vient d’être dressé par l’équipe de spécialistes de l’A.E.C, dirigée par R. Shreffler, ancien chef du Nuclear Planning Group de l’OTAN et de la Weapons Division de Los Alamos.
Rejet de la « flexible response »
Principes généraux
Structure des forces
Coût de l’opération
Emploi
Conclusion