Les Allemands en France (1940-1944)
L’ouvrage de Lucien Steinberg est une contribution tout à fait originale à une meilleure connaissance des événements de la période 1940-1944 en France. Dominée par le fait, sans précédent dans notre histoire, d’une occupation – d’abord partielle, mais très vite devenue totale – du territoire national par les Allemands pendant près de 4 ans, cette période a profondément marqué les générations qui l’ont vécue et exercé une influence considérable sur celles qui ont suivi. De très nombreuses études (dont quelques-unes devenues de véritables classiques) lui ont été consacrées tout au long des 30 dernières années. Elles ont été fréquemment relayées par le théâtre, le cinéma et l’audiovisuel sans pour autant épuiser le sujet, ni en lasser le public.
Mais, la plupart de ces contributions ont traité des événements, des hommes et des sentiments de cette époque comme si seuls les Français étaient en cause. Autrement dit, « l’occupant », qui était cependant à l’origine de tout ce qui nous arrivait, était le plus souvent évoqué comme une sorte d’abstraction, comme un rouage anonyme et irresponsable d’une machine fonctionnant sans impulsion précise, au hasard des circonstances et des événements.
Lucien Steinberg – et c’est le principal intérêt de son ouvrage – ne se contente pas de ce schéma simplificateur car, à l’évidence, l’appareil civil et militaire allemand chargé de l’occupation était en fait composé non de robots, mais d’hommes. Ceux-ci obéissaient à des directives, exécutaient des ordres ; leurs origines étaient diverses ; leurs motivations différentes ; ils ne réagissaient pas tous de la même façon. L’auteur a donc cherché à les individualiser autrement que par la case de l’organigramme qu’ils occupaient à un moment donné, et à leur rendre leur personnalité propre. Cet éclairage nouveau permet finalement de beaucoup mieux comprendre l’histoire de la résistance.
La tâche n’était pas facile. Les documents officiels, ceux du moins qui n’ont pas disparu des archives allemandes, ne suffisent pas toujours à une reconstitution psychologique du genre de celle que poursuit l’auteur. Il a dû faire appel à des témoignages directs, oraux si possible, ou écrits, mais ceux-ci n’étaient pas toujours faciles à obtenir. Il convenait chaque fois de s’interroger sur leur sincérité. Il fallait éviter ces écueils inhérents au sujet que sont les idées reçues, les ressentiments, l’adhésion idéologique.
Lucien Steinberg y a parfaitement réussi. Son travail a été accompli comme il se le proposait, « sans haine et sans crainte, sinon sans sympathies et antipathies, avec le respect des faits, des gens, des propos et des textes ». ♦