L’apartheid : pouvoir de falsification historique / Ségrégation et apartheid
L’Afrique du Sud n’a jamais été l’un des soucis majeurs du Français moyen. Si quelques centaines de nos huguenots s’y exilèrent au XVIe et XVIIe siècle avec les calvinistes hollandais, ils n’eurent pas de successeurs et notre politique coloniale ne s’est jamais intéressée à ce qui fût un fief de la Couronne britannique.
Or le milieu de notre XXe siècle a vu se créer et se développer là-bas une nation nouvelle, la République Sud-Africaine (RSA), économiquement puissante, stratégiquement importante, mais dotée d’un régime politique unique, l’apartheid, basé sur l’inégalité raciale. Mise pour ce motif au banc des institutions internationales (encore que poursuivant un négoce florissant avec l’ensemble du monde), la RSA ne semble pas pour autant disposée à modifier sensiblement son idéologie et ses structures. Un grave risque cependant la menace à moyen terme, celui que la démographie noire n’étouffe la suprématie blanche, comme elle vient de le faire en Rhodésie.
Il était intéressant de confronter deux études françaises récentes sur ce sujet sensible de l’apartheid, l’une affichant son caractère hostile et publiée sous les auspices de l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) : l’autre, plus neutre et sensible aux liens qui demeurent entre les « réprouvés » du bout du monde et leurs frères blancs d’Europe.
Avouons, d’emblée, notre insatisfaction après cette double lecture. L’étude de M. Cornevin sur les falsifications historiques utilisées par les tenants de l’apartheid pour baser et justifier leur politique n’est qu’un dossier d’avocat de partie civile, où la culpabilité de l’accusé est acquise au départ et totale, où les moindres indices sont rassemblés, ficelés, assénés au nom d’une idéologie aussi tranchante et absolue que les prônes de Pretoria aux couleurs de la Bible. Pourtant le dossier est bien constitué : ordonné, éclairé de bons schémas cartographiques, riche de références bibliographiques, très lisible…
Premier point faible, toute la documentation utilisée, sinon pour les dernières décennies, est constituée de témoignages « blancs », faute de traces exploitables des « civilisations » antérieures qui auraient pu s’y développer sérieusement. L’auteur en est donc réduit à des conjectures, à des généralisations sur indices pour accabler l’apport et le cheminement boer dans la mise en valeur de la région. Les grands chefs zoulous étaient-ils de sanglants despotes où des conquérants éclairés ? Hélas pour M. Cornevin, ils n’ont pas laissé de testaments écrits sur leurs conceptions raciales ou autres… et sa plaidoirie en est déséquilibrée. Second point faible, l’instruction du cas apartheid ignore le contexte mondial. Nulle référence à des crimes de même nature, aux exemples donnés par tant de puissances, parfois les mieux assises dans les structures internationales, où la falsification de l’histoire, la déification d’un mythe, l’asservissement à une idéologie marquent leur politique du même sceau dégradant que l’apartheid peut le faire vis-à-vis de la RSA. Et le dossier devient moins lourd. L’UNESCO l’a certainement senti, puisqu’il parraine mais n’épouse pas : … « Les opinions exprimées dans cette publication sont toutefois celles de l’auteur et n’engagent pas l’UNESCO ».
De l’autre côté, le livre de M. Aicardi de Saint-Paul. Moins construit, moins clair, moins lisible (l’ouvrage est truffé de coquilles et de fautes d’orthographe à irriter le plus patient des lecteurs. Les éditeurs en sont-ils seuls responsables ?), il est heureusement plus ouvert, plus nuancé et, devant la réalité sévère de la condition noire en RSA, plus capable de nous faire comprendre comment on a pu en arriver là. Il nous paraît objectif dans son appréciation du cheminement boer au milieu de ses vicissitudes innombrables et sanglantes, où le chapitre le plus cruel ne fut pas la lutte contre les peuplades ou tribus noires, mais la guerre menée contre les colonialistes anglais. Il montre bien que ce sont les Boers qui ont fait la RSA ; que ce groupe humain, homogène, pur et dur, n’a survécu que grâce à la conscience qu’il avait d’être une « entité » ethnique, religieuse, politique, raidie dans son autodéfense à la mesure des menaces de destruction qui pesaient sur elle, que ce groupe sait encore que les menaces demeurent, que sa survie est dans son maintien au pouvoir et qu’une idéologie lui est pour cela aussi nécessaire que le léninisme aux Soviets. L’auteur traite enfin des concessions et des réformes que les gouvernants actuels de la République pourraient proposer et mettre en œuvre pour aboutir à une solution mondialement acceptable sans condamner leur existence de nation blanche. Sa conclusion, très brève, est aussi très bonne. Elle souligne les incertitudes de demain et le devoir de l’Europe à l’égard de ses enfants expatriés.
L’histoire de l’Afrique du Sud est complexe, confuse, pleine de retournements et de contradictions. L’exposer clairement est une tâche ardue, dont l’auteur se serait sans doute mieux sorti s’il s’était aidé de schémas clairs, s’il avait en somme donné un visage à son texte. Peut-être ne sommes-nous pas passés très loin d’un excellent livre ? ♦