Les 170 jours de Dien-Bien-Phu
Erwan Bergot connaît son sujet aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur : officier, il a participé à l’opération du premier au dernier jour, dans une mission d’appui de feux rapprochés, à la charnière entre le contact et le commandement. Écrivain et journaliste, il s’est documenté aux meilleures sources et a recueilli de nombreux témoignages de combattants. Il était donc en mesure de nous restituer la réalité de la bataille.
Refusant d’entrer dans la controverse – toujours passionnée et toujours ouverte, mais vaine, sans doute en l’absence d’un accord sur les données du problème, de la plus générale à la plus locale – sur la justesse et l’opportunité de l’Opération Castor, il a choisi de nous faire vivre l’exaspération progressive de la lutte, la férocité des derniers corps-à-corps, et de nous faire partager l’angoisse née de la lente asphyxie du camp retranché.
Il en résulte un récit coloré, émouvant, parfois hallucinant, à la louange de nos combattants, célèbres ou oubliés, dont beaucoup ont laissé là-bas leur vie ou leur intégrité physique. Il rend justice aux mal-aimés : les paras vietnamiens, les tirailleurs, les thaïs… qui dans leur majorité furent fidèles, vaillants, quelquefois héroïques. Son admiration éclate à l’égard des cadres, officiers et sous-officiers, dont l’indomptable énergie permit une survie étonnante à notre dispositif étranglé. Elle s’affirme plus particulièrement pour ces deux chefs de guerre exceptionnels que furent le lieutenant-colonel Langlais et le commandant Bigeard.
S’il est objectif touchant le courage, la pugnacité du fantassin vietminh, ou la progressivité intelligente de l’investissement conduit par le général Giap, l’auteur est remarquablement discret à l’égard de certaines faiblesses de notre dispositif, carences de notre commandement, et même erreurs tactiques. Il n’y eût pas là-bas que des héros ou des chefs sans défaut, et l’on eût aimé que dans ce tableau paraissent les quelques ombres qui firent contraste au rayonnement des meilleurs… Il est vrai que le silence est souvent éloquent quand les faits parlent d’eux-mêmes.
Bien que n’ayant pas pour objet l’étude tactique ou technique de la bataille, ce livre, grâce à son réalisme et à sa précision dans l’exposé des faits, invite à une réflexion sérieuse sur les facteurs de notre défaite : insuffisance du renseignement et des divers appuis de feux, précarité des ravitaillements… ainsi que sur quelques données « éternelles » du combat : limites de la résistance humaine à la souffrance et à la fatigue, supériorité de l’armée de métier dans la reconstitution de forces décimées, état d’âme du combattant quand s’évanouit tout espoir de secours ou de victoire…
L’auteur nous apprend que les Nord-Vietnamiens ont élevé un monument à leurs morts de Dien-Bien-Phu, sur le point d’appui Éliane 2, la « cinquième colline ». Son ouvrage, généreux et tonique, en est, après plusieurs autres, en quelque sorte la contrepartie, à l’égard de ceux des nôtres qui s’y sont sacrifiés. Il est particulièrement bienvenu en cette année du 25e anniversaire des Accords de Genève. ♦