Vietnam : j’ai choisi l’exil
Ce petit livre – presque une plaquette – que son style concis, châtié et en même temps coulant permet de classer comme œuvre de littérature, constitue aussi, à bien des égards, un authentique document, qui sera sans doute considéré un jour par les historiens comme une source de première importance à verser au dossier de l’après-guerre du Vietnam.
L’auteur se situe dans ce groupe d’intellectuels indochinois de culture française et de tradition vietnamienne qui, dès 1945, avaient engagé un combat d’idées en faveur de l’indépendance de leur pays. Ils espérèrent sincèrement et longtemps que cette indépendance pourrait être acquise pacifiquement, en accord avec la France, et dans le respect des principes démocratiques. Mais il n’en fut pas ainsi : il fallut 30 ans d’une guerre sans merci, animée et conduite par des hommes d’une formation très différente, issus du marxisme militant, pour arriver au but. Un tout autre cheminement que celui qu’ils avaient rêvé !
En 1975, le résultat était acquis. Bien qu’assez sceptique sur ce que pouvait apporter à son pays le communisme sur le plan économique, culturel et plus généralement humain, Viet Tran, qui avait approuvé une lutte qui n’était pas tout à fait la sienne, mais dont il ne retenait plus que les objectifs nationaux et patriotiques, voulut participer à la reconstruction en espérant s’intégrer au nouveau système. Les nombreuses amitiés qu’il avait liées pendant la guerre avec les combattants des maquis FLN (Front de libération nationale) devaient, pensait-il, lui faciliter cette intégration. Son ouvrage nous relate pourquoi et comment il dut renoncer à cet espoir et, finalement, choisir l’exil après trois ans d’efforts et de déceptions.
Pour ceux qui, en France, malgré une page tournée il y a presque 25 ans, n’ont jamais perdu de vue le Vietnam et continuent à s’intéresser au sort de ce pays, presque tout de ce que raconte Viet Tran sera intéressant. Nous nous bornerons ici à esquisser quelques-uns des thèmes de réflexion d’ordre général que suggère son ouvrage.
Le Vietnam, et plus précisément ses dirigeants vietminh et vietcong qui ont si brillamment gagné la guerre, sont en train de perdre la paix. Et cela pour deux raisons principales. D’abord leur intransigeance, principal obstacle à cette réconciliation entre le Nord et le Sud, sans laquelle il n’y aura pas de véritable unité nationale. Deuxième raison : leur entrée totalement ratée sur la scène des relations internationales où leur victoire récente, leur position géographique et la possession d’une armée qui passe pour être la « quatrième du monde », leur promettaient un rôle très important. Le choix sans nuance – contre nature estime Viet Tran – qu’ils ont fait de l’alliance russe les expose dangereusement aux représailles chinoises et les a amenés, contre leur gré et contre leurs véritables intérêts, semble-t-il, à transformer en occupation quasi totale du Kampuchéa les opérations d’assainissement à la frontière auxquelles le régime de Pol Pot les avait contraints. Ils inquiètent ainsi non seulement les pays de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est), mais aussi les grandes puissances et risquent d’entraîner leur peuple dans de nouveaux malheurs.
Gagner la paix aurait sans doute été une tâche à la mesure d’une personnalité comme Ho Chi Minh. Force est de constater que le contexte des trente dernières années n’a pas favorisé la relève. ♦