Histoire du soldat - De la violence et des pouvoirs
La violence est de tous les temps. Elle est inhérente à la nature humaine, et ce n’est pas en supprimant le soldat qu’on l’éliminera. Bien au contraire, s’il n’y a pas d’État, la violence est partout : la disparition de l’État ne la supprime pas. elle lui permet de s’exprimer librement.
Telle est l’affirmation de bon sens qu’Alexandre Sanguinetti place en exergue de son ouvrage qui aborde un sujet dont nul ne lui déniera le droit de parler puisqu’il fut lui-même un soldat valeureux des Commandos d’Afrique, qu’il fut blessé au débarquement de l’Île d’Elbe et y perdit une jambe, et qu’il fut par la suite, durant son mandat de député, vice-président puis président de la Commission de défense nationale de l’Assemblée.
L’État, remarque-t-il, a pour fonction première d’assurer la sécurité des citoyens. Le soldat est précisément celui qui est « soldé », autrement dit « payé » pour assumer cette tâche, qui en fait profession, permettant ainsi d’en libérer les autres citoyens en temps de paix. Ceci ne veut pas dire que les autres citoyens ne soient pas un jour appelés à combattre, à devenir à l’occasion des guerriers… Mais l’un des drames de notre terre de France, c’est que son peuple a bien les défauts des Gaulois : c’est un peuple de guerriers – il l’a toujours prouvé par sa bravoure depuis Vercingétorix jusqu’aux Poilus de « 14-18 » – mais ce n’est pas un peuple de militaires. Entendons par là que, généralement il s’accommode avec légèreté de l’impréparation de sa défense. Il a payé lourdement cette insuffisance au cours de son histoire : il a souvent pensé la corriger en courant aux frontières, en pratiquant la « bataille d’arrêt », une spécialité bien française, de même que celle du « beau geste », le « panache », qui nous ont toujours coûté cher. Cela nous a valu Alésia, Camerone, Sidi-Brahim, le sous-lieutenant Paul Lapeyre se faisant sauter avec son « bordj », Bazeilles, la ligne Maginot et Dien Bien Phu. Loin de l’esprit d’Alexandre Sanguinetti de vouloir piétiner ces gloires sacrées en en rejetant la faute sur les soldats. C’est le pouvoir qui en est le seul responsable. Les institutions militaires ne sont jamais, en effet, que le reflet de la société qui les secrète et dont elles portent la marque.
Nous ne reprendrons pas ici la démonstration très convaincante de l’ancien ministre des Anciens Combattants. Une démonstration qui ne fera certainement pas plaisir à tous les bien-pensants lorsqu’il fustige par exemple la bourgeoisie du Second Empire responsable de la défaite de 1870 et de l’écrasement du sursaut populaire de la Commune, cette « leçon d’honneur » intolérable donnée par une capitale ouvrière à un pays et à une Assemblée de ruraux « dont la vision ne dépasse pas le coin du champ ». Il n’est pas pour autant plus tendre pour les Communards, exception faite de la figure attachante d’un soldat, Rossel, qui « s’il avait été écouté et suivi, mais d’autres aussi, ils auraient pu balancer la fortune » : mais « la gauche marxiste, et la Commune c’était cela, croit trop au désordre fécond d’où jaillit la lumière ». Éternelle résurgence de nos défauts gaulois !
Éternel retour aussi de notre amour du « beau geste » : les Saint-Cyriens de 1914 montant à l’assaut en casoars et gants blancs ! les hécatombes de Nivelle ! de justesse nous éviterons l’effondrement par les mutineries de 1917. Heureusement, en 1918, nous avons compris, et c’est précédée de centaines de chars et de feux aériens que va débouler de la forêt de Villers-Cauterets l’offensive de Mangin. Ce sera le jour de deuil des armées du Kaiser. « En 1918 nous avons gagné par les moyens de 1940. L’Allemagne s’en souviendra, nous pas ».
Un autre enseignement majeur qu’Alexandre Sanguinetti tire de l’histoire c’est que toujours les empires continentaux ont été vaincus par la mer. C’est à Trafalgar que Napoléon a définitivement perdu la partie. Aujourd’hui « le salut des nations occidentales (…) ne peut désormais être assuré que par la domination de l’air et de la mer, augmentée de la puissance nucléaire en tant que dissuasion ». Cette fois la bataille d’arrêt, c’est l’atome qui la livre en permanence pour nous éviter d’avoir à le faire avec nos forces militaires proprement dites. Telle est aujourd’hui la véritable mission de l’homme d’armes, du chevalier des temps modernes servi par tous ses valets d’armes aussi nécessaires qu’étaient jadis écuyers. archers et coutilliers de la « lance garnie ». Et cela pose bien entendu le problème de la coexistence du soldai professionnel et des appelés du service militaire.
L’ancien Président de la Commission de Défense nationale ne croit guère à la vertu du service militaire pour promouvoir l’esprit de défense. Il vaudrait mieux que le citoyen comprenne que quels que soient son âge. son rang, sa situation. « la guerre moderne, sur son sol, le concerne immédiatement et directement partout. Sa participation est autre et tout aussi capitale que celle du service militaire. Il doit assurer sa survie face aux monstrueuses destructions dont nous avons eu un avant-goût à Hambourg, à Dresde, à Hiroshima, à Nagasaki ».
Inutile aussi de se leurrer sur la possibilité de lever des armées de volontaires. Alexandre Sanguinetti remarque que c’est une constante, vérifiée à peu près à toutes les époques depuis la Légion romaine à l’armée américaine actuelle : jamais le taux de 6 volontaires pour 1 000 habitants n’a été dépassé. Cela correspond précisément aux 300 000 professionnels de nos forces armées actuelles.
« L’histoire du soldat » nous rappelle certes plus de souvenirs douloureux que de vaines gloires mais c’est un livre vigoureux que tout officier devrait lire et méditer tant il est vrai que le soldat, comme tout autre professionnel, possédera d’autant mieux son art qu’il en connaîtra l’histoire. Mais cela vaut aussi pour les « pouvoirs » qui ont la charge et le terrible devoir d’user de la violence dont le soldat n’est que l’instrument. ♦