La guerre du Vietnam 1945-1975
Il convient d’accueillir avec intérêt cette première tentative, honnête et objective, pour cesser de considérer le conflit indochinois comme une juxtaposition d’épisodes, afin de l’appréhender globalement, comme une guerre de 30 ans, ce qu’il fut effectivement, du moins pour les Vietnamiens.
Ceci dit, la tentative est loin d’être entièrement réussie. Plusieurs remarques peuvent être faites à ce sujet.
La première c’est que l’auteur est infiniment mieux documenté sur la période française que sur la période américaine du conflit. L’examen de la bibliographie en fin de volume le confirme : tous les ouvrages, articles ou documents répertoriés, à quelques rares exceptions près, sont d’origine française. Il semble bien que l’information de l’auteur sur la période américaine se borne à ce qui s’est dit à l’époque dans les journaux français ou dans les conversations de « popote » entre spécialistes. Cela se traduit par un sérieux déséquilibre dans le plan même de l’ouvrage : le conflit américano–Viêt-Cong est traité en 35 pages (sur plus de 250) contre 95 au conflit franco-vietminh, pour des durées respectivement de 20 ans et 10 ans pour chacun d’entre eux.
Deuxième remarque, qui découle dans une certaine mesure de la précédente : la dernière partie du livre, intitulée « Stratégies et tactiques en présence », s’appuie, elle aussi, beaucoup plus sur l’expérience française que sur celle des Américains. Cependant les évaluations par ces derniers des situations successives qu’ils ont connues, et qui étaient souvent très différentes des notes, ne manquaient pas de pertinence ni d’intérêt. Il aurait été indiqué d’en faire état.
Enfin, en ce qui concerne particulièrement le conflit franco-vietminh, bien des lecteurs, croyons-nous, ne manqueront pas d’être déçus par la sécheresse du récit d’André Teulières qui fait penser à un compte rendu d’état-major beaucoup plus qu’à un travail de recherche historique. Ainsi, par exemple, ne réalise-t-il pas ce véritable tour de force de parler des opérations sans pratiquement citer d’autres noms que ceux des commandants supérieurs successifs et (exceptionnellement) de leurs « grands » et immédiats subordonnés ? Cette sorte d’abstraction et d’indifférence, au moins apparente, pour le facteur humain rappellent curieusement ce que Tolstoï raconte dans Guerre et Paix sur les ordres d’opérations du général autrichien Mack pour la manœuvre d’Ulm : « die erste kolonne marschiert… die zweite kolonne marshiert… » et ainsi de suite, exactement comme s’il s’agissait de déplacer non des hommes et leurs chefs, sur le terrain, mais des pions identiques et anonymes sur un échiquier. On n’écrit pas l’histoire, pas plus qu’on ne gagne les batailles, en reportant des flèches sur une carte !
Dans le même ordre d’idées. André Teulières s’abstient de tout commentaire sur le contexte politique métropolitain ou local qui a été si déterminant dans la plupart de nos initiatives militaires en Indochine.
Certes (et nous en venons ainsi aux aspects positifs de l’ouvrage), ce contexte politique a été très – peut-être trop – abondamment décrit, étudié et commenté par d’autres, qui n’y ont pas toujours apporté l’objectivité souhaitable. C’est ce reproche qu’a sans doute voulu éviter André Teulières en se limitant au seul plan de la technique opérationnelle. Et de ce point de vue, son ouvrage est certainement important. Il trace un cadre précis et clair qui ne manquera pas d’être un guide précieux pour toute recherche future et plus complète sur cette période.
La dernière partie du livre retiendra également à coup sûr l’attention des lecteurs, même les mieux avertis, à cause de l’analyse très complète et fouillée qu’elle nous propose des raisons du succès vietminh et de l’échec tant français qu’américain. Sur ce sujet. André Teulières évite habilement les sentiers par trop battus. Il recherche et présente avec originalité et brio les principales motivations du comportement des combattants et dégage ensuite les idées essentielles qui déterminèrent la conduite de la guerre par les pays antagonistes. Il le fait avec perspicacité, sans complaisance et sans parti pris.
On peut dire, en résumé, que cet ouvrage, s’il a quelque peu manqué sa cible, a néanmoins posé un certain nombre de jalons solides pour les approches futures. ♦