Le tunnel
Les Maisons de la Presse ont été forts avisées en décernant leur prix annuel 1978 au livre Le tunnel d’André Lacaze : non seulement le livre s’est bien vendu dès sa parution l’été dernier à la veille des vacances, mais il a vocation à se vendre pendant longtemps encore, parce qu’il raconte une aventure vraie, c’est-à-dire réellement vécue, sinon par l’auteur lui-même, du moins par quelqu’un qui se trouvait, à l’époque où se situe le récit, dans son entourage immédiat et quotidien. Le héros de cette aventure est un truand de Montmartre de la plus belle eau, le dénommé Paulo, dont la personnalité n’est pas sans rappeler celle d’un autre aventurier qui lui aussi s’est très bien « vendu », le célèbre Papillon.
Chez tous les deux ce sont les mêmes traits de caractère : rage de vivre, refus de se soumettre, absence de scrupules, avec en plus la même truculence d’un langage argotique des plus grossiers. L’un et l’autre se trouvaient placés dans un environnement sinistre et inhumain : le bagne de Cayenne pour Papillon, un commando de déportés détachés du camp de Mauthausen à la construction du tunnel du Loibl-Pass, pour Paulo. Ils appliquent toute leur énergie (ou ce qui en reste après les traitements subis) et toute leur intelligence, à la réalisation d’un seul but, d’un seul espoir qui les fait vivre : la « belle ». Ils réussissent l’un et l’autre. Mais là s’arrêtent sans doute les analogies entre les deux récits. Car, contrairement à Henri Charrière, André Lacaze est un écrivain de bonne race qui traite en littérateur les à-côtés de son sujet, qui s’attache aussi bien à son héros qu’à ceux qui gravitent autour de lui et qui sait rendre sensible une ambiance, aussi difficile et délicate que soit l’entreprise dans le cas concret d’un des plus sinistres camps de la mort des nazis.
L’on pourra regretter cependant, de ce point de vue, que malgré les 535 pages de son ouvrage et son expérience personnelle des situations qu’il décrit, André Lacaze n’aille pas vraiment au fond des choses. C’est probablement délibéré de sa part. Son objectif n’était pas de refaire Une journée dans la vie d’Ivan Denissovitch. Mais un effort d’analyse psychologique un peu plus fouillée des situations et des hommes n’aurait pas nui au succès commercial de son entreprise. ♦