La Royale au temps de l’Amiral d’Estaing / Lapérouse, des combats à la découverte
Du point de vue maritime, le XVIIIe siècle est plein d’intérêt. Aussi voit-on avec plaisir sortir deux livres qui portent sur le sujet et qui se complètent assez heureusement.
Le premier, par Michel Vergé-Franceschi, historien qui a déjà beaucoup écrit sur la marine à Toulon et en Méditerranée, est une étude sociologique du milieu des officiers de marine entre 1730 et 1789. Fondée sur de nombreuses archives privées, surtout provençales, et les grandes ordonnances de l’époque, particulièrement celle de Choiseul en 1965 et celle de Castries en 1786, elle montre comment la noblesse de province servait le roi dans ses ports et sur ses vaisseaux, avec dévouement, sérieux et compétence. Sans masquer les défauts comme l’orgueil de caste bien connu, elle fait justice d’un certain nombre d’idées préconçues. On est par exemple surpris de savoir que ces hommes étaient profondément religieux alors qu’on aurait pu les croire entichés de l’esprit des philosophes.
Ce travail consciencieux et assez vivant ne va pas sans lacunes surprenantes. Pour les équipages, il n’est même pas fait allusion au système des classes qui, pendant 200 ans, a fait peser sur nos populations maritimes une sorte de conscription ignorée du reste de la nation. Les explorations maritimes illustrées par Bougainville, Kerguelen, La Pérouse et bien d’autres, sont passées sous silence. L’Académie de marine est réduite au rôle de distraction pour retraités, alors que ses membres devaient être presque tous des officiers en activité. Plus graves sont les insuffisances dans le domaine purement maritime, car l’auteur les comble par une imagination débordante. C’est ainsi qu’il parle de la « languissante torpeur » de l’officier de quart. De quoi chavirer sous les voiles, comme disent les marins !
Le livre du contre-amiral de Brossard sur La Pérouse remédie en très grande partie à ces lacunes et à ces erreurs. C’est un livre de marin sur un marin, écrit dans un langage accessible à tous. Sauf dans les derniers chapitres consacrés au voyage dans le Pacifique, le héros est plutôt un prétexte à décrire les combats et les campagnes où il s’est trouvé, depuis la bataille des Cardinaux en novembre 1759, pendant la guerre des Sept ans, jusqu’à l’opération en baie d’Hudson en 1782, à la fin de la guerre d’Indépendance de l’Amérique. Entre ces deux guerres, se situent également d’intéressantes navigations en océan Indien. On y voit comment l’Ancien Régime formait ses officiers en n’hésitant pas à leur faire commander des bâtiments de servitude. C’est aussi l’époque où l’on commence à résoudre de redoutables problèmes comme celui de la mesure des longitudes qui, pour les marins, n’avait rien d’académique, ou celui du scorbut, « mystère macabre des vaisseaux, le mal inattaquable, la mort triomphante ». Après le voyage de Cook, La Pérouse réussira à naviguer trois ans en ne perdant des hommes que par accident ou par massacre, en allant jusqu’en Alaska, à Sakhaline, où un détroit porte encore son nom, et au Kamchatka.
Le livre se termine sur l’étude du mystère de la disparition du deuxième navire de l’expédition, La Boussole, le sort du premier, L’Astrolabe, étant connu depuis 1827. Les recherches menées en 1964 sur le récif de Vanikoro sont d’un intérêt moindre que le reste du livre qui se lit facilement malgré quelques négligences de correction des épreuves. Il montre d’ailleurs un La Pérouse réfléchissant aux grands problèmes de stratégie maritime. Il écrit par exemple, à propos du rôle des forces navales dans l’océan Indien, des lignes qui annoncent les actions de Suffren quelques années plus lard et qui préfigurent Mahan : « Relâcher à l’Île de France après une bataille c’est la perdre entièrement. Il faut nettoyer les côtes de manière que tous les approvisionnements, toutes les munitions de guerre puissent être transportées par mer sur les plus petits bâtiments, que toutes les places maritimes attaquées soient bloquées et ne puissent recevoir aucun secours par la rade ». ♦